Monzon-Bouttier : le combat d’une époque

Rendez-vous au stade de Colombes.

Affiche du combat Bouttier-Monzon par Luigi Castiglioni

JEAN-CLAUDE BOUTTIER VS CARLOS MONZON

Samedi 17 juin 1972 à 19h30. Le rendez-vous est pris au stade Yves du Manoir de Colombes, en banlieue nord-ouest de Paris. Le natif de Saint-Pierre-la Cour (Mayenne) Jean-Claude Bouttier (1944-2019) affronte le redoutable argentin Carlos Monzon (1942-1995), pour le titre de champion du monde de boxe, dans la catégorie des poids moyens.
Le duel est extrêmement séduisant. Les médias sont en alerte. Radio, télévision, presse écrite déploient des grands moyens pour couvrir ce grand événement dans la France de Pompidou. 
 

L'affiche de l'événement reprenant le visuel emblématique créé par Luigi Castiglioni

WORKING-CLASS HERO

La boxe française attend un "nouveau Cerdan". En effet, depuis la mort tragique, dans un accident d’avion en 1949, de Marcel Cerdan, champion du monde en 1948, aucun boxeur ne connait une telle notoriété. La France est en quête d’une icône. Elle l’a trouvée. Les raisons sont multiples. En voici deux.

Bouttier est un héros issu du peuple, un working class hero diraient les Anglais. Il représente les classes populaires. Son père est employé à la compagnie de chemin de fer (SNCF). A 16 ans, le Mayennais, apprenti boucher puis détenteur d’un CAP boucherie est tenté par la boxe sur les conseils de son patron, ancien boxeur amateur. Le pugilat fut pour lui le lieu d’une remarquable histoire d’ascension sociale.

Jean-Claude Bouttier et son manager Jean Bretonnel, caricature de Déro (1920-2000), coll. MNS

La scène fait référence à la brève carrière de représentant en produits laitiers du boxeur, qui part ensuite s'entraîner à Miami sur les conseils de Bretonnel. 

 

Bouttier fascine. Il plait à tous parce qu’il est l’incarnation d’un "inconscient collectif, celui de la méritocratie, du labeur", écrit Jean-Philippe Lustyk, la "voix" de la boxe en France. Cette popularité transparaît dans les médias où Bouttier fait une entrée remarquable. Pour preuve, il est élu Champion des champions par le puissant quotidien sportif L’Equipe en 1971, Marcel Cerdan étant l’unique autre boxeur à avoir reçu cette distinction. 


Deuxième raison, la proximité qu'il entretient avec le public. Il est "Monsieur tout-le monde". Hors du ring, toujours avec le sourire, on le voit parler avec les initiés et non-initiés à la boxe. Sur les plateaux de télévision, il s’exprime de façon posée et impressionne par sa sympathie. 

MONZON, REDOUTABLE ADVERSAIRE

En ce 17 juin 1972, Bouttier, champion d’Europe, s’attaque à un monument de la boxe mondiale : Carlos Monzon. L’enfant des bidonvilles de Santa-Fe est réputé pour être un "dur", un boxeur dont les coups font très mal. Moins connu que les célébrités américaines (notamment Mohamed Ali), parce qu’il boxe surtout en Argentine et en Europe, Monzon n’en demeure pas moins un combattant exceptionnel, au palmarès ahurissant.

Avant d’affronter Bouttier, il fait pleurer toute l’Italie en surclassant le champion du monde des moyens, Nino Benvenuti (tenant du titre depuis 1967 et champion olympique). Carlos Monzon est un redoutable adversaire mais le désir de voir le triomphe du charismatique Bouttier fait perdre toute lucidité à la presse hexagonale et aussi aux fans. 

DEVANT LA FRANCE ET LE TOUT-PARIS

Toute la France se passionne pour l’ambition de Bouttier : devenir le troisième champion du monde des moyens après Marcel Thil (1932) et Marcel Cerdan (1948).

30.000 spectateurs se présentent dans l’historique stade Yves du Manoir édifié pour les Jeux Olympiques de Paris 1924 et qui a été le théâtre de grands moments du sport français (Finales de la Coupe de France de football, Tournoi des Cinq Nations).

Le Tout Paris est présent. Parmi les plus connus on trouve les "mordus du noble art", les acteurs Jean Gabin, Lino Ventura, Jean-Paul Belmondo ou Alain Delon. Le face à face est âpre. 

Marcel Thil (1904-1968) à l'entrainement avant sa victoire contre Gorilla Jones pour le titre de Champion du monde poids moyens 1932

UN PERDANT MAGNIFIQUE

Bouttier montre beaucoup de ténacité. Lors de certains rounds, il fait jeu égal avec celui qu’on surnomme «El Macho». Mais le Français reçoit trop de coups pour être en mesure de remporter ce duel.

Bouttier résiste, démontre sur ces quelques séquences qu’il est un "champion". Malheureusement, il a face à lui une "montagne".

Le combat est d’une grande rudesse. Bouttier est "asphyxié" , malmené. Il est méconnaissable. Dans ces moments, le courage ne suffit pas. A l’entame du 13ème round, l’œil gauche fermé par les terribles coups, victime d’une hémorragie interne, Bouttier s’effondre et décide d’abandonner. Après la rencontre, le public retient le courage du Français. Monzon souligne cette qualité : "C’est l’adversaire le plus coriace que j’ai affronté". Bouttier pénètre dans le panthéon des "magnifiques perdants".

Une revanche est demandée, sous l’impulsion d’Alain Delon, devenu ami-manager de Bouttier. La rencontre est prévue le 29 septembre 1973 à Roland Garros, la demeure des "amoureux de la terre battue".

C’était une époque où la boxe française était un spectacle partagé et apprécié de tous.
 

Si on a la trouille, il ne faut pas monter sur un ring.

Jean-Claude Bouttier dans un entretien avec le journal Le Monde en 2011 

Par Claude Boli , Responsable scientifique du Musée national du Sport