Et Dieu créa Lenglen

Suzanne Lenglen transforme le jeu de tennis en sport et crée la mode sportswear. Révolutionnaire hyper douée, elle dresse les fondations du tennis actuel et lance la mode sportive, reprise par tous les grands couturiers.
Souvent copiée, jamais égalée, elle représente la femme libérée, sans complexe. Elle incarne le style Art déco. Son nom, universel et immortel, se conjugue au présent.

Au commencement du monde il n’y avait personne.

Dieu créa d’abord Adam, ensuite Eve, enfin Suzanne Lenglen

André Lichtenberger et Etienne Micard, Leurs 400 coups (de tennis), Les Éditions du Monde moderne, Paris, 1925

La Championne

Tout comme Sonja Henie (patinage artistique), Suzanne Lenglen s’inscrit parmi les légendes du sport de l’entre-deux-guerres. Sa précocité, son style et son invincibilité en font la meilleure joueuse de tennis de son époque.

Dès son plus jeune âge, elle démontre une adresse étonnante au diabolo. A 11 ans, elle reçoit sa première raquette. Durant toute sa carrière, son père sera son unique entraîneur et coach. Dès 14 ans, elle connaît ses premiers succès internationaux. En 1914, elle conquiert son premier titre de championne du monde sur la terre battue de la Faisanderie au Parc de Saint-Cloud.

La guerre interrompt sa carrière ; elle s’entraîne avec les hommes sur les courts du Nice Lawn Tennis Club. Dès 1919, elle s’impose à Wimbledon face à Dorothea Lambert-Chambers, 7 fois lauréate. Victorieuse 9/7 au 3ème set, elle brise l’hégémonie britannique, signant la plus grande victoire de sa carrière.

 

 

 

Médaille d'or

Médaille d'or de Suzanne Lenglen au Tournoi de Wimbledon 1919, inv. MS 7005

Avers, inscrit WORLD'S.LAWN.TENNIS.CHAMPIONSHIP.ON.GRASS


Cette médaille d’or a été remise à Suzanne Lenglen lors de sa victoire en simple aux championnats du monde sur herbe de « lawn tennis » (le tennis dans sa version moderne), à Wimbledon en 1919. C’est sa première victoire lors de ce tournoi : elle rencontre en finale la star du tennis anglais, Dorothea Lambert Chambers, qui, à 40 ans, a déjà remporté à sept reprises Wimbledon. A la surprise générale, c’est Suzanne Lenglen qui gagne en trois sets. A partir de cette date, elle devient imbattable jusqu’en 1926 et remporte cinq tournois de Wimbledon d’affilée (1919 à 1923) sans perdre un seul set à partir de 1920.


 

Photographie du revers de la médaille d'or de Suzanne Lenglen

Revers, inscrit LADIES SINGLES / MLLE SUZANNE LENGLEN / CHAMPION / 1919

Aussi à l’aise sur terre battue que sur herbe, elle remporte les tournois majeurs :

  • 6 Internationaux de France
  • 6 Wimbledon
  • 2 titres olympiques

En 1926, elle arrête sa carrière amateur suite au match du siècle contre Helen Wills. Suzanne passe pro pour, enfin, gagner sa vie. Elle effectue une tournée de matchs exhibition aux Etats-Unis et en Angleterre. Elle met un terme à sa carrière en 1928 puis crée une école de tennis renommée, reconnue par la Fédération.

 

Joueuse à la santé fragile, elle décède en 1938 d’une leucémie foudroyante.

Vous étiez, Suzanne, si fort au-dessus de tous les joueurs et de tous les champions, que d'un commun accord, ils ne vous appelaient que par votre prénom, comme une reine.

Le style Lenglen et la mode

Révolution du tennis féminin

Charles Lenglen, son père, formate Suzanne à la compétition et casse les dogmes tennistiques féminins de l’époque. Il s’inspire du tennis masculin, plus varié, étudie les meilleurs coups des grands joueurs et les adapte à Suzanne. Il choisit ses partenaires d’entraînement, souvent des hommes. La jeune joueuse répète inlassablement ses gammes de gestes, échange à cadence soutenue, évolue rapidement aux quatre coins du court, anticipe le jeu, monte à la volée, prend la balle en haut du rebond. Ce jeu, fait de vitesse et de précision, exige une condition physique sans faille. Elle pratique la danse, la gymnastique mais aussi les courses brèves et rapides, le saut à la corde etc…


 

Charles développe sa souplesse, ses poumons, son endurance. L’adolescente aux nattes, haute de 1m40, passionnée de son sport et excellente dans sa scolarité, ne doit pas se lasser. Exercices et entraînements sont variés, dosés. Ses progrès sont étonnants. Elle révolutionne le tennis féminin, le rend attractif, vivant, gai. De 1914 à 1926, Suzanne domine le tennis mondial comme aucune autre ne le fit jusqu’aujourd’hui. En avance sur son temps, elle est au tennis ce que Bolt est à l’athlétisme, Pelé au football, Killy au ski, Merckx au cyclisme : une déesse du stade.

Suzanne Lenglen, la déesse aux pieds légers, à la raquette invincible...

La Femme Art Déco

Sa notoriété dépasse les lignes restreintes du court. Finies les tenues de ville pour jouer ; au vestiaire robe longue, corset, chapeau, bottines ! Dès son adolescence, elle évolue en robe à mi-genoux. En 1922, Jean Patou, influencé par Raymond Barbas, en fait son égérie. Suzanne transforme la mode : robe plissée de soie blanche au-dessus des genoux, bas blancs, cardigan sans manches, foulard chatoyant nouant ses cheveux, chaussures de toile. Elle accentue ses traits avec un maquillage prononcé. 

 

 

photographie d'un poudrier

Poudrier laqué noir ayant appartenu à Suzanne Lenglen, collections MNS, inv. MS 7001

Photographie de la robe de tennis de Jean Patou pour Suzanne Lenglen.

Robe de tennis à coupe droite en crêpe de soie blanc, Jean Patou, années 1920, collection MNS, inv. D.87.62.17

 

 


Cette robe réalisée par le célèbre couturier Jean Patou symbolise l’entrée de la mode dans l’univers tennistique. Le créateur a su adapter le vêtement en soie aux exigences des mouvements imposés par le tennis.


Telle Hellé Nice, star des grands prix automobiles des années 30 (Bugatti et Alfa-Romeo), Suzanne représente la femme libre, moderne, Art déco. Elle révolutionne le tennis par son jeu et son look.

Poupée des années 1920 représentant Suzanne Lenglen.

Poupée [coton, tulle, cheveu, fer], années 1920, collections MNS inv. 2009.2.1


Cette poupée représente la sportive dans sa tenue habituelle : une robe blanche s’arrêtant aux genoux et un bandeau de tulle autour de la tête. D'une grande modernité pour l’époque (les femmes portaient alors des robes longues et des corsets), la robe courte permettait d’être plus à l’aise dans les mouvements amples.

La poupée a appartenu à la comtesse Rita de Maugny qui l’a faite confectionner après avoir rencontré au tournoi de Saint Moritz dans les années 1920, Suzanne Lenglen et dont elle était admiratrice. L'objet est dans un premier temps réservé à la famille de Maugny puis il est distribué à un public plus large.


 

Un style Lenglen

Son style se rapproche plus de Wilding, son modèle, que de toute autre joueuse. Elle établit sa méthode d’initiation au tennis, adoptée par la France tennistique.

 

Sur ses conseils, René Lacoste modifie sa prise de raquette et son coup droit. Pour le revers, elle impose le pouce le long du manche pour mieux diriger la balle. Jean Borotra en fait, avec sa volée légendaire, un de ses coups favoris. Cette prise, encore utilisée par certains joueurs avant-guerre, a disparu de nos jours.

 

Lenglen et Borotra
Suzanne Lenglen et Jean Borotra, années 1920-1930, collections MNS

 

 

Suzanne Lenglen et la Côte d'Azur

Menton

Dès 1902, le Lawn Tennis and Croquet Club de Menton organise « les Championnats de la Riviera ». Suzanne Lenglen participe à cinq éditions, de 1919 à 1925. Sa présence est annoncée à grand renfort de publicité. Elle déplace la grande foule, assure la recette, fait le spectacle. Chacun de ses matchs se dispute devant 1500 à 2000 personnes chapeautées prenant d’assaut les tribunes de bois des centraux. Son premier supporter est le Roi de Suède, Gustave V, passionné de tennis et dont elle est la partenaire préférée.

Son bilan ? Dix finales, dix succès. Ses trois victoires en simple, lui adjugent définitivement la coupe gravée « Championships of the Riviera ladies singles, Challenge Cup presented by the town of Menton», créée par la maison « Garrad and Co » de Londres et conservée dans les collections du Musée national du Sport.

 

coupe offerte à Suzanne Lenglen par la ville de Menton

Coupe [argent, métal ciselé, bois], années 1910, Collections MNS inv. D.87.62.114

Cette coupe fut offerte à Suzanne Lenglen (1899-1938) par la Ville de Menton, pour ses trois victoires en simple (1919,1923, 1924). Le tournoi s’appelait "Championnats de la Riviera" et se disputait sur les courts du Lawn-Tennis and Croquet Club de Menton.

En 1924, lors de sa finale victorieuse contre Ryan, un incident déclenche le scandale. L’arbitre anglais la pénalise d’une faute de pied (son péché mignon : elle en réalisa trois dans le même match à Wimbledon en 22). A sa sortie du court, la « Divine » entre dans une colère noire et annonce refuser dorénavant tout arbitre anglais ainsi que de jouer à Wimbledon. 

Nice

Le tournoi de Menton précède celui de Nice. Organisé par le Lawn Tennis Club de Nice, le tournoi de Nice se joue d’abord place Mozart puis, dès 1919, au Parc Impérial. Son père est le secrétaire du club. Suzanne s’y entraîne quotidiennement, reçoit les conseils de l’emblématique professeur Joseph Négro.

Coupe en métal gravé

Coupe en métal gravé, collections MNS, inv. D.87.62.15


Cette coupe est celle qu'a gagné Suzanne Lenglen au Lawn-Tennis Club de Nice lors du tournoi qui avait pour nom officiel "Championnats du Sud de la France". Ce tournoi est l’évènement tennistique de la Côte d’Azur. Vainqueur à plusieurs reprises de ces « Championnats du sud de la France », elle en remporte définitivement le challenge. A ses talents sportifs et à sa mode Art déco, ajoutons son rôle d’ambassadrice de la ville de Nice. En 1922, elle figure sur un char du Carnaval, « Tout au sport » : honneur suprême niçois. Femme brillante, elle côtoie têtes couronnées et grands de ce monde ; elle incarne l’image moderne de la France.

Cannes

Cannes, à travers le tournoi du Carlton, signe le début et la fin de sa carrière.

En 1913, âgée de 14 ans, haute comme trois pommes et frêle comme un roseau, elle dispute le double mixte avec son maître Tony Wilding qui l’encourage par des « à vous, Bébé !» 

Ils l’emportent : c'est sa première victoire internationale.

En 1926, la finale du simple dames l’oppose à la nouvelle étoile, l’Américaine Helen Wills. C'est le match du siècle au Carlton.

Ce match, parmi tant d’autres, devient l’évènement chic et choc. La riche clientèle hivernante prend d’assaut les 3000 places de tribunes vendues à prix d’or. Les plus grands médias envahissent les abords du court et en font le match du siècle : celui opposant la nouvelle à l’ancienne, le nouveau monde à la vieille Europe. Le tennis, soudain, de sport élégant devient sport populaire, médiatisé, mondial. Suzanne Lenglen démocratise son sport. 

La ville est déjà toute bruissante des échos de la rencontre, les groupes clairs des jeunes filles, sur la promenade qui longe la mer, ont des bavardages de cristal où tinte le nom de Suzanne, mille fois répété. Carnaval est oublié ! Mardi Gras est mort ! Un peuple de journalistes assiège le télégraphe pour apprendre au monde que Suzanne a triomphé !

Sa victoire, serrée mais indiscutable, la fait diva. En pleine gloire, et peut-être pas au sommet de son art, elle décide de se retirer de la scène internationale. Elle entre, pour l’éternité, dans la légende du sport. Elle avait 27 ans et seulement huit années de carrière ! Elle ouvre la voie à la magnifique Simonne Mathieu, joueuse exemplaire et, surtout, grande Résistante. Roland Garros, ocre magique du tennis mondial, nous rappelle leur souvenir indélébile à travers coupes et courts gravés à leurs noms.

 

Si l’usure du temps fait son œuvre sur de nombreuses anciennes gloires sportives, la Lenglen ne prend pas une ride. Elle est l’image de marque du tennis et du sport, le modèle de mode de son temps, la figure charismatique de son époque, une des personnalités marquantes du XXème siècle.