Jean-Jacques Sempé : Le Grand Prix de Monaco

Un jour de Grand-Prix en Principauté croqué par Jean-Jacques Sempé...

Le Grand Prix de Monaco. La tribune d’arrivée, Jean-Jacques Sempé, num.inv. 77.27.7


Ce dessin de Sempé, réalisé vers 1969, hypothèse possible d’après le profil du tracé du circuit, s’observe en trois étapes. 

Côte d'azur et de contrastes


Son entière composition nous dévoile la Principauté lovée entre mer et montagne, Palais Princier à l’ouest et Casino à l’est reconnaissable à ses deux coupoles. Ces bâtiments coloriés attirent notre première attention. Ils représentent l’histoire de la famille Grimaldi et celle de la Belle Epoque : le Monaco du passé et du présent. Entre ces deux ensembles, s’étend en partie centrale une barre de « gratte-ciels» anonymes, blancs et uniformes, symboles d’une Principauté contemporaine et future. Sempé ne néglige pas les nombreux espaces verts et jardins publics parsemant la ville. En toile de fond, la montagne environnante : la France, contraste saisissant de la côte urbanisée et surpeuplée, et du proche arrière pays rural et désertifié. En premier plan la mer, le port, les yachts, les baigneurs signes d’opulence, farniente et bien être.

L’auteur nous livre une caricature de la Principauté en ce jour extraordinaire de Grand Prix, éloignée de la réalité d’un jour plus ordinaire sans nous en révéler l’ambiance particulière. La partie à l’est du Casino plongeant sur le bord de mer (descente Mirabeau, virage de la gare, du portier, entrée tunnel du tir aux pigeons) n’est pas représentée car invisible depuis le lieu d’exécution du dessin.

Au premier plan, dolce farniente...

 

Le défilé des bolides


Dans une seconde approche plus resserrée, nous découvrons le circuit se frayant sa route entre mer et immeubles, zébrant le dessin d’un aller-retour, entre tunnel et gazomètre, montée d’Ostende, virages Massenet et du Casino. Sempé pousse le détail à en occulter tribunes côté sud du port, rangée de pins (quai Albert Ier) à peine figurée et Stade Nautique Rainier III inauguré en 1961, pour mieux en accentuer le tracé.

Ce n’est qu’en 1973 qu’une nouvelle partie du circuit sera construite à fleur d’eau entre virage du bureau de tabac, « S » de la piscine, Rascasse et virage Noghès. L’artiste privilégie le moindre détail du circuit, sans s’attarder sur les voitures esquissées et disséminées en procession. Leur nombre supérieur à la réalité (28 figurées pour 16 au départ et 7 à l’arrivée)  accentue leur présence, impression ressentie lors des 80 tours de ce Grand Prix disputé sur un tourniquet de 3,100 km et provoquant un réflexe répétitif exacerbé. Ce trait souligne aussi l’image particulière de ce public venant assister autant à un spectacle qu’à un évènement sportif.

Ce long défilé de bolides évoque également l’esprit d’éternel enfant de Sempé nous rappelant le jeu de petites voitures entre gamins dans une allée de terre d’un jardin ou d’un circuit tracé à la craie dans une cour d’école. L’artiste semble être familier du lieu, de son ambiance, de ses quartiers, de ses fastes et de ses détours. Ses dessins de l’évènement sont nombreux. Il croque l’ambiance des stands désuets, sans structures, à ciel ouvert où règnent désordre, exiguïté, odeur d’huile de ricin, jerricans d’essence, mécanos « en bleu de chauffe » contrastant avec cette foule si particulière à l’élégance raffinée, mondaine, paradant en cette occasion fugitive. Plusieurs de ses dessins, très détaillés, nous décrivent la place du Casino, son parterre de fleurs central, l’hôtel de Paris à la riche architecture et aux hautes fenêtres du rez-de-chaussée.

L'épingle à cheveux 

Zoom sur la tribune

Enfin, troisième phase de notre observation, un zoom focalisé sur la ligne d’arrivée représentée par une tribune centrale rouge, couleur d’apparat ou de Ferrari. Pour l’occasion, le Palais migre du rocher au coeur de l’évènement. La famille princière, très fidèle et fortement attachée à son Grand Prix à travers l’Automobile Club de Monaco, est présente dans la tribune d’arrivée. La Principauté, le temps d’un après-midi, devient le centre du monde par son image et son prestige véhiculés par les nombreux médias présents.

Zoom sur la loge princière.


Dès sa tendre enfance Sempé, amateur de sport, voulait devenir footballeur professionnel. Toute sa vie, il garda ce trait de crayon enfantin, parfois naïf, nimbé d’une sensibilité retenue et rare. Au premier regard, ses caricatures nous « écrasent » puis nous interpellent, attisent notre curiosité, déclenchent notre réflexion. Sempé ne se survole pas, ne se feuillette pas mais s’observe, s’analyse, se déguste. Son crayon nous propose une histoire muette et simple, souvent interrogative. Alors, seulement, son sujet fait place aux mots.