Les premiers Jeux olympiques féminins

C’était il y a 102 ans, le 20 août 1922.

Meeting international d'athlétisme féminin au stade Pershing à Paris, le 20 août 1922 [le salut]

Deux ans seulement avant la tenue de la VIIIe Olympiade de l’ère moderne à Paris, Alice Milliat, révoltée que les athlètes femmes en soient exclues, met sur pied les premiers Jeux olympiques féminins de l’histoire. Sophie Danger, autrice de Alice Milliat, la femme olympique (Les Pérégrines, Paris, 2024), vous raconte cette première édition historique.

Échaudée par le refus de Pierre de Coubertin d’intégrer les femmes athlètes au programme des Jeux olympiques (JO), Alice Milliat s’apprête à étrenner les premiers Jeux olympiques féminins de l’histoire moderne. En quelques mois seulement, l’audacieuse Nantaise, qui cumule les casquettes de présidente de la Fédération Féminine de France (FFF) et de la Fédération Sportive Féminine Internationale (FSFI), est parvenue à convaincre cinq nations du bien-fondé de sa démarche. Parmi elles, on retrouve les États-Unis mais aussi l’Angleterre, la Tchécoslovaquie, la Suisse et bien évidemment la France qui, avec une trentaine de sportives, compte le plus grand nombre de représentantes.

Les qualifications

En tout et pour tout, elles sont 77 sportives à avoir fait le déplacement. Soucieuse du bon déroulé de la journée, Alice Milliat leur a fait affréter deux autobus chargés de les convoyer du cœur de Paris jusqu’à ce charmant petit coin de la banlieue Est.

À 9h00, aucune ne manque à l’appel lorsqu’Émile Vylé, le célèbre speaker de la boxe, énonce le nom des participantes aux qualifications de la hauteur avec élan, première des épreuves inscrites au programme du jour. Bien qu’encore clairsemé à cette heure matinale, le public se repaît de la victoire de l’Américaine Nancy Voorhees. La New-Yorkaise, âgée de 16 ans seulement, devance les Anglaises Hatt et Lowman ainsi que la Strasbourgeoise Cécile Gerner. 

Du côté des Françaises, les débuts olympiques s’avèrent plus compliqués. Des douze candidates en lice en ce début de journée, seules cinq sont parvenues à se qualifier pour les phases finales : Cécile Gerner à la hauteur avec élan, Henriette Comte pour la longueur sans élan, Violette Gouraud-Morris au poids, Germaine Darreau sur 300 mètres ainsi qu’Yvonne Gancel au javelot. Pour ce qui est de la longueur avec élan en revanche, le titre se jouera sans elles : trop tendres pour prétendre rivaliser avec leurs concurrentes anglo-saxonnes, Paule Gresset et Alice Gonnet se sont inclinées d’entrée. Une contre-performance qui ne les empêchera pas de prendre part au défilé des nations.

Un saut de Miss Hatt.

La suite de la matinée va se poursuivre sans encombre. Après Nancy Voorhees, c’est au tour de Camelia Sabie, une autre Américaine, de briller en s’adjugeant la tête du classement de la longueur sans élan à l’issue du premier tour. Même succès pour ses compatriotes Lucile Godbold et Elizabeth Stine, intraitables elles aussi au poids et à la longueur avec élan. Un quasi sans-faute pour le Team US qui ne cèdera finalement que sur trois épreuves : les deux séries du 300 mètres remportées, respectivement, par les Anglaises Mary Lines et Alice Cast ainsi que les éliminatoires du javelot à mettre au crédit de la Suissesse Francesca Pianzola, très largement au-dessus de ses neuf adversaires.

« FFF ! France ! » C’est le cri national choisi par la Fédération Féminine de France et c’est vraiment d’un heureux effet. 

Le défilé des athlètes

Selon les journalistes, ils seraient 20 000 à être venus y assister. Ce sont les Suissesses qui ont ouvert le bal, suivies de près par les Tchécoslovaques, les Américaines puis les Anglaises. Les Françaises s’élancent en dernier. Regroupées derrière l’Alsacienne Louise Noeppel, leur porte-drapeau, elles entament leur tour de piste en scandant des « FFF France », leur cri de ralliement. Arrivées à hauteur de la tribune principale, celle-là même où trône Alice Milliat, Henry Paté, le haut-commissaire à l’éducation physique au ministère de la Guerre, et les ambassadeurs des différents pays engagés, toutes se rangent en file indienne à l’exception de Paulette de Croze, appelée à venir se placer en bord de piste. 
 

Rejointe quelques secondes plus tard par la présidente de la FSFI, la native de Pont-Croix dans le Finistère sollicite alors, d’une voix claire et posée, « l’ouverture des premières olympiades féminines du monde».

Pershing, conscient de vivre un moment important, retient son souffle. Lorsqu’Alice Milliat déclare « ouverts les premiers Jeux olympiques féminins du monde », le stade exulte :  il est un peu plus de 15h00 et chacune des personnes présentes à Vincennes a conscience que « LA » femme sportive vient d’entrer dans l’Histoire. Il ne lui reste désormais plus qu’à se construire un palmarès.

Les phases finales

Sans surprise, ce sont les Américaines qui écrivent les premières lignes de cette histoire du sport féminin. Nancy Voorhees s’adjuge la couronne de la hauteur avec élan, tandis que Lucile Godbold décroche celle du poids. Sacrée à l’issue du concours de longueur sans élan, Camelia Sabie ajoute le 100 yards haies à sa moisson et offre deux autres médailles au clan US. L’outrageuse razzia du Nouveau Monde s’arrêtera néanmoins là. Piquée au vif, Mary Lines s’emploie à rééquilibrer la donne en s’adjugeant le 300 plat et la longueur avec élan, sa compatriote Nora Callebout est récompensée sur le 100 yards. Autre succès, celui de la Tchèque Marie Mejzlikova II, intraitable sur 60 mètres, et de la Suissesse Francesca Pianzola au javelot

Les Françaises, quant à elles, tentent de faire bonne figure. Même si la victoire continue de se refuser à elles, Violette Gouraud-Morris et Yvonne Gancel ont réussi à redorer les rangs de l’équipe nationale en se hissant à la deuxième place du poids pour l’une et du javelot pour l’autre. Il faudra attendre l’entrée en lice de Lucie Bréard sur le 1 000 mètres, l’ultime épreuve individuelle de la journée, pour assister enfin au sacre d’une championne maison. La sociétaire de Fémina, pas encore vingt ans, s’impose au terme d’une course à suspense devant sa compatriote Georgette Lenoir et fait retentir une Marseillaise que le public de Pershing n’espérait plus.

Victoire de Lucie Bréard au 1000m.

Un finish en apothéose qui permet à la France de se hisser à la troisième place au classement des nations, très loin de l’Angleterre, grande gagnante de ces premières joutes olympiques féminines, mais à deux points seulement des États-Unis, dauphin plein de panache. Alice Milliat le sait, elle vient d’ouvrir une brèche : non contentes d’avoir impressionné par leurs prouesses chronométriques et/ou métriques, les athlètes féminines ont prouvé en ce 20 août 1922, qu’elles n’auraient plus jamais besoin de personne pour exister, le Comité International Olympique est prévenu.

Par Sophie Danger , Journaliste