René Pellos : le dernier sprint d'André Darrigade.

L'expression de l'art cycliste

Pellos, dessinateur des Pieds Nickelés de 1948 à 1981, était passionné de cyclisme et le démontra à travers ses nombreuses caricatures du Miroir du cyclisme.
Son talent assura le succès du mensuel qui devint le magazine culte des amoureux de la petite reine.

Caricature d'André Darrigade par René Pellos

Son dernier sprint, René Pellos (1900-1998). 

 

Les dessins de Pellos reflètent sa parfaite connaissance du milieu réservant bonne place aux champions sans omettre leurs indispensables équipiers et porteurs d’eau. Ses personnages sont joyeux dans la victoire, marqués dans la défaite, grimaçants dans l’effort. Il illustre, en toile de fond, les hauts sommets aux visages menaçants (sa fameuse sorcière), armés d’un lourd marteau, postés au détour d’un virage, funeste prélude aux grandes étapes de montagne du Tour de France. Pellos annonce l’évènement et colle à l’actualité, ne se contentant pas de nous « narrer » seulement le Tour. Il excelle dans les portraits toutes dimensions, accentuant les traits de visage des champions (anguleux d’Anquetil, bonnes joues de Poulidor, chevelure ondulée de Bahamontès) et des « petits coureurs ». Sa marque de fabrique est d’en esquisser un maximum sur un minimum de surface. Il pousse le détail à situer maillots, personnages et dates des épreuves.
A travers cette magistrale caricature d’André Darrigade se magnifie tout le talent de l’artiste qui, en quelques morceaux choisis, croque la longue et glorieuse carrière du plus grand routier-sprinter français de l’après guerre.
 

Ce dessin, titré « son dernier sprint », nous montre un André Darrigade inquiet tentant de décrocher à l’aide d’une canne un sac tenu par un André Leducq hilare : première vision approximative de l’oeuvre.
Une étude plus approfondie divise cette caricature en trois parties. 
La première, centrale, figure un long fil sinueux. Maillots jaunes, vert, de champion de France et de champion du monde sont suspendus. André Darrigade chevauche une bicyclette en forme du chiffre 35 : son âge. Cette indication permet de dater l’œuvre : 1964. Le visage inquiet, accentué par le bâton de vieillesse brandi désespérément, exprime la fuite du temps. André Darrigade, depuis plusieurs années, se rapproche du record d’étapes remportées sur le Tour de France par André Leducq (25). Mai, à 35 ans, le temps presse. A la fin de sa carrière, il en totalisera 22. 
La seconde, partie gauche, évoque l’avenir immédiat et les ambitions du champion : battre le record de Leducq. Face à lui, le redoutable Rik Van Looy, son grand rival des arrivées au sprint des années 60, l’attend muni d’une massue. Leur situation en bas du dessin et au pied de la montagne, sur fond noir, traduit leur aptitude limitée dans les forts pourcentages. Sortant la tête du haut de la falaise, André Leducq surgit, son sac de victoires à la main. Son pied de nez et son sourire moqueur portés vers Darrigade prédisent la difficulté de la tâche du Dacquois. L’ensemble est surmonté de hauts sommets aux visages humains inquiétants armés d’un lourd marteau prêts à leur délivrer le coup de grâce.
La troisième, partie droite, égraine le riche et long palmarès de ce champion polyvalent (courses d’un jour ou par étapes, sur route ou sur piste). 
Le National (59) ; les 6 jours de Paris au Vel d’Hiv (57 et 58 avec Anquetil et Terruzzi); le Tour de Lombardie (56 devant Coppi) ; le Trophée Baracchi (56 avec Rolf Graf) ; Daumesnil (ses premières victoires probantes chez les amateurs puis la Roue d’Or 57). 
En bas, Pellos figure un trio « champion de France 1955, Bobet, Châteaulin » : la plus belle victoire de Darrigade. Bobet, battu au sprint, en garda un souvenir amer parfaitement illustré ici. Ce succès, houleux et indécis, instaure l’usage de la photo finish aux arrivées d’étapes du Tour.
Enfin, son maillot de champion du monde sur route (59), le plus prestigieux de tous.

Par la justesse de son trait de dessin, l’exactitude sportive de la carrière du champion, sa très haute connaissance du milieu cycliste, Pellos rend un hommage appuyé et mérité à l’un des plus populaires coureurs français de l’après-guerre. Cette caricature illustrant le numéro 40 de janvier 1964 du « Miroir du cyclisme » lance une saison d’un cru exceptionnel. Jacques Anquetil gagne le Giro ; Raymond Poulidor la Vuelta. Leur duel attendu sur le Tour scinde la France en deux et entre dans l’Histoire de la Grande Boucle. Eddy Merckx éclot aux championnats du monde amateurs de Sallanches. André Darrigade signe ses deux dernières victoires d’étapes.
Pellos nous en livre l’une de ses plus belles histoires…sans paroles.