Le vase des vainqueurs olympiques de 1924

Vase remis à Georges Rigal (1890-1974), champion olympique de water-polo en 1924 avec l’équipe de France, coll. MNS num.inv. 71.27.1

Histoire d'une récompense olympique "au galbe irréprochable"...

Le sport et Sèvres, une histoire ancienne

"Ah, ce vase de Sèvres, c’est véritablement le lien entre la IIIème République et les Sports !" peut-on lire en 1930 dans L’Auto, témoignant de l’omniprésence de cet objet d’art dans les remises des prix des concours sportifs.

La proximité entre la Manufacture national de Sèvres et le sport français et peut-être même encore plus ancienne. Sous la Restauration, le roi Louis-Philippe offrait déjà un vase de la Manufacture nationale de Sèvres aux vainqueurs du grand Prix du Bouquet de Tir à l’Arc. Cette récompense est d’ailleurs restée inchangée pour ce grand prix qui se dispute toujours.

Depuis ce premier geste, les exemples sont légion et le vase de Sèvres semble être la distinction de prédilection des hommes politiques pour les sportifs. De Gaston Doumergue à René Coty en passant par Vincent Auriol, de nombreux présidents de la République l’ont adopté. À tel point que l’objet d’art intègre la sémantique du discours journalistique dans Le Miroir des Sports :

« Si les lignes en pugilisme n’avaient pas la fragilité d’un vase de Sèvres, on pourrait en déduire que Maurice Griselle est l’un des tout meilleurs poids lourds de l’ancien monde ».

Il est alors peu étonnant de voir le vase de Sèvres dans l’univers olympique. Dès Paris, en 1900, pour les deuxièmes Jeux Olympiques de l’ère moderne, un vase de Sèvres est offert dans le cadre du Grand Prix d’honneur d’escrime de l’Union des Sociétés d’Instruction Militaire de France, disputé aux Tuileries. Deux autres vases sont offerts par le président de la République Émile Loubet pour être attribués comme prix d’honneur aux vainqueurs des concours de Tir à l’Arc. Au total, le comité d’organisation des Jeux Olympiques de 1900 a dépensé 2800 francs pour acquérir des objets d’art réalisés à la Manufacture de Sèvres.

Georges Rigal et sa fille 

(La Vie au Grand Air, 15/10/19)

Champion olympique 1924 avec l'équipe de France de water-polo, Rigal (1890-1974) confie en 1971 son vase de vainqueur au Musée national du Sport. 

Le vase de 1924

En 1922, Jean de Castellane, président de la Fédération Française de Natation et de Sauvetage, membre du Comité Olympique Français et conseiller municipal de Paris, obtient de l’Hôtel de Ville que soient offert des vases de Sèvre à tous les champions olympiques.

Il s’agit de faire perdurer la tradition d’Anvers 1920 où de petites statuettes avait été offertes à chaque vainqueur. Le dessin en fut confié à un artiste de grand talent, Octave Guillonnet.

Le Gouvernement français en fit don par la suite au Musée Olympique international installé à Lausanne par les soins du Baron Pierre de Coubertin et ce sont les répliques de ce vase original qui ont été remises aux vainqueurs olympiques.

Il y aurait eu 324 vases commandés par la Ville de Paris, au prix unitaire de 150 francs le vase. La facture avoisine donc les 50 000 francs, ce qui obligea le Conseil municipal à voter un crédit spécial et retarda la production : ainsi les vases ne furent livrés qu’en septembre 1924, soit après la fin des Jeux olympiques de Paris, si bien que le réseau des ambassades dû être activé pour faire acheminer les vases jusqu’à chacun des 284 médaillés d’or.

Notez d’ailleurs que chaque athlète titré, donc chacun des membres d’une équipe de sport collectif, a reçu un vase. L’artiste Guillonnet a été rémunéré 5000 francs pour son œuvre, et le sculpteur Bracquemond 3000 francs. Finalement, la Manufacture de Sèvres a produit 25 vases supplémentaires afin d’être certaine que le total de 324 puisse être atteint.

Au total, il semble que 65 vases de Sèvres édition 1924 aient été remis à d’autres personnalités que des médaillés olympiques : le Comité olympique français, par exemple, en a reçu 4 (un pour son président le Comte Clary, un pour son secrétaire général Frantz Reichel, un pour le délégué du gouvernement Gilbert Peycelon, et un pour les archives, qui n’est malheureusement plus dans le fonds du Comité National Olympique et Sportif Français aujourd’hui). 

Avis divergents

Chez les sportifs, le vase ne fait pas l’unanimité, notamment chez le directeur du journal l’Auto et fondateur du tour de France Henri Desgrange :

« On leur remet, sauf le respect que je vous dois, une véritable ordure, dénommée vase de Sèvres. C’est bleu foncé, c’est laid, c’est à ne pas offrir ». L'Auto, 15/12/1901

 

 (...) une véritable ordure, dénommée vase de Sèvres. C’est bleu foncé, c’est laid, c’est à ne pas offrir.

 

Henri Desgrange, directeur de L’Auto et créateur du Tour de France

D’autant que certains athlètes finissent par en cumuler un certain nombre :

« Voilà la cinquième fois que Barany gagne le Grand Prix de Paris et la cinquième fois qu’il reçoit en récompense le même modèle de vase de Sèvres ! S’il n’a pas l’intention de s’établir marchand de porcelaines, il ne peut évidemment trouver le fait très plaisant. » Le Miroir des Sports, 22 juillet 1930

Coubertin, lui aussi, exprime parfois sa lassitude, regrettant que les seuls gestes des pouvoirs publics envers les sportifs soient la remise de ces vases :

« Ce n’est pas avec des vases de Sèvres qu’on organise des régates et je crois que la perspective de les gagner ne suffit à produire des rameurs ». L'Education anglaise en France, 1889

Mais pour d’autres, il est « d’une pâte merveilleuse, d’un galbe irréprochable et d’un nuancé d’une délicatesse infinie » L'Auto, 3 aout 1930
 

 

Par Arthur Gallois , Chargé de recherche – CNOSF