Chronographe ou chronomètre ?

Le chronographe est un instrument qui mesure un laps de temps entre deux événements. Dans l’acception moderne du terme, un chronographe est une montre équipée d’au moins une aiguille indépendante que l’on peut démarrer, stopper et remettre à zéro, en vue de mesurer un intervalle de temps.

Chronomètre avec porte-échappement - vers 1920 © Musée de l'horlogerie de Saint-Nicolas d’Aliermont

Dans le langage commun, on utilise souvent et abusivement le terme « chronomètre » pour désigner un chronographe. Le chronomètre est un label de qualité basé sur la norme ISO 3159 et obtenu par un instrument horaire auprès d'un organisme certifié, comme le COSC (Contrôle Officiel Suisse de Chronomètres). Une montre chronographe peut également obtenir le label de chronomètre, dans ce cas on peut parler d'un chronomètre-chronographe.

Le nom chronographe est dérivé du grec ancien χρόνος, khrónos « temps » et γράφω gráphō « écrire ».
Lorsque l’heure est absente, on parle de « compteur ».
Le plus souvent, le chronographe est actionné par des poussoirs permettant d'enclencher le comptage (départ ou start), de l'arrêter (arrêt ou stop) et de réinitialiser (remise à zéro ou reset).
Dans la terminologie horlogère, c’est une complication, c'est-à-dire une fonction additionnelle ajoutée à une montre, au même titre que la date, les phases de la lune ou la sonnerie.

L’usage des instruments de mesure dans le sport se fait en premier lieu avec l’évaluation des courses d’animaux : de chevaux ou de lévriers. En 1751, le Jockey Club est fondé en Angleterre. La haute société anglaise découvre les compétitions où hommes, chevaux et chiens se disputent la victoire. Des paris sont pris sur le vainqueur. Les éleveurs cherchent alors à mesurer les performances de leurs chevaux. Ils s’aident pour cela de chronographes et de podomètres. En France, les premiers essais de chronométrage datent de la fin du XVIIIe siècle et l’ensemble des sources concordent pour rappeler que la mesure des courses d’hommes, de chevaux et de chars sont confiés aux chronographes.

L’inventeur du chronographe n’est pas connu avec certitude. C’est une multitude d’apports et d’améliorations qui fera évoluer cette idée née au XVIIIe siècle et met les horlogers à contribution.
Le premier est le hollandais Christian Huygens (1629-1695) et son spiral réglant. Grâce à lui, les montres peuvent être réglées et deviennent suffisamment précises au cours du  XVIIIe siècle pour servir aux études scientifiques, avec un écart journalier passant de 30 à 5 minutes.
Ainsi vers 1700, la plupart des horlogers équipent leurs montres d’une aiguille des minutes, mais ce n'est que vers 1740, que les premières montres dotées d’une  aiguille des seconde : la trotteuse, apparaissent. Cette aiguille est le résultat de la quête de la précision qui préoccupe tant les horlogers et les savants du Siècle des Lumières.

Par la suite le défi des horlogers est de construire un compteur qui possède trois fonctions essentielles : départ, arrêt et remise à zéro.
La difficulté première est la mise au point d’un système simple qui arrête le mouvement de la montre « à volonté » en bloquant soit le balancier, soit la roue d’échappement.
Pour déterminer la durée d’une observation ou d’une course, l’observateur doit noter l’heure du début de celle-ci et sa fin puis en calculer la longueur. Cette méthode, longtemps employée, n’est pas scientifiquement satisfaisante en particulier pour la mesure des phénomènes de courte durée.

Il aura fallu une quête de près d’un siècle, de la fin du XVIIIe au milieu du XIXe siècle, pour parvenir à la précision souhaitée.
 

1- La « seconde morte indépendante » de Pouzait

En 1776, un mécanisme de seconde morte indépendante est présenté à la Société des arts de Genève par l’horloger Jean-Moïse Pouzait (1743 - 1793) : la montre possède deux aiguilles des secondes, une petite à 6 heures qui marche en continu, dite trotteuse, et une grande aiguille des secondes placées au centre du cadran que l’on peut arrêter et faire redémarrer à volonté.
La mécanique nécessite un 2e train de roues pour l’aiguille centrale des secondes mais présente l’avantage de ne pas stopper la montre pendant l’observation.
Sous diverses formes, de telles montres sont construites en nombre tout au long du XIXe siècle. Sur certaines montres, la trotteuse est remplacée par une aiguille appelée diablotine ou foudroyante qui bat le quart ou le cinquième de seconde (correspondant à une oscillation du balancier). Il devient possible de déterminer la durée d’une observation à une fraction de seconde près mais le calcul du temps ne peut se faire que sur une minute. Un nouveau pas est franchit avec l’invention d’un instrument propre à mesurer des intervalles de temps, particulièrement utile pour les fractions les plus petites.
Le chronométrier aliermonais Aimé Jacob améliore ce système en 1834.

Chronomètre avec échappement à cylindre mesurant les secondes et possédant un totalisateur de 10 minutes - vers 1920. Bouton de remise à zéro au sommet © Musée de l'horlogerie de Saint-Nicolas d’Aliermont

2- Le « chronographe pointeur » de Rieussec

En 1821, Nicolas-Mathieu Rieussec (1781 – 1866?), horloger du roi, mesure 4 courses de chevaux avec un nouvel instrument. Son chronographe à seconde, premier à obtenir un brevet, indique la durée de plusieurs phénomènes successifs, sans que l’observateur soit obligé de regarder le cadran, d’écouter ou de compter les battements d’un échappement.
Par une simple pression du doigt, une pointe traverse un petit encrier fixe et dépose une goutte d’encre sur le cadran d’émail blanc au début et à la fin de chaque mesure. L’utilisateur doit nettoyer le cadran à chaque nouvelle utilisation.
Cet instrument permet de mesurer le cinquième de seconde et sert à apprécier des phénomènes qui exigent la précision la plus rigoureuse.  Le compteur de Rieussec est à la fois l’aboutissement de progrès horlogers fondamentaux et le point de départ de recherches qui, par l’abandon de l’enregistrement graphique, conduiront au chronoscope, d’abord de poche, puis bracelet.
 

 

3- L’aiguille « sauteuse » de Perrelet

Louis-Frédéric Perrelet (1781–1854) est reconnu pour être l’inventeur de la fonction « rattrapante ». Il reçoit une médaille d’or pour son compteur à double arrêt à l’Exposition des produits de l’industrie française de 1827. La seconde rattrapante, également nommée « dédoublante », est un premier perfectionnement fondamental qui permet de mesurer deux événements ou plus, commençant au même instant mais de durée inégales.
Pour ce faire, deux aiguilles sont montées sur le même axe d’entraînement. Si l’une est arrêtée pour relever un temps intermédiaire, par une seconde pression, elle rattrape l’autre aiguille qui a poursuivi sa course. Ce système est approché par Perrelet qui obtient un brevet en 1828 mais définitivement établi par Winnerl en 1831 et 1838.

4- Le « compteur garde-observation » de Winnerl

Le mathématicien et astronome français Félix Savary (1797-1841) voulant étudier les phénomènes de courte durée propose à Joseph Thadeus Winnerl (1799-1886), un horloger autrichien établi à Paris, de construire un compteur dont les deux aiguilles des secondes, montées concentriquement sur un même cadran subsidiaire, peuvent être arrêtées puis remises en marche, tout en conservant la marche de la montre.
Ce mécanisme est appliqué pour la première fois en 1840 sur un chronomètre destiné à M. Savary. En 1843, Winnerl présente un compteur avec les cadrans des heures, minutes et secondes séparés. Plusieurs horlogers apportent des améliorations : Delépine, Achille-Hubert Benoît, Louis Moinet… Mais ces chronographes, compteurs et montres à aiguilles dédoublantes ou sautantes ne sont pas satisfaisants dans la mesure où les aiguilles ne peuvent pas être ramenées à zéro.

Chronomètre avec échappement à cylindre mesurant les secondes et possédant un totalisateur de 10 min - vers 1920. Bouton de remise à zéro au sommet. Douille de support © Musée de l'horlogerie de Saint-Nicolas d’Aliermont

5- Le « chronographe avec retour à zéro » de Nicole et Piguet

Adolphe Nicole (1812 - 1876), horloger suisse établi à Londres dépose en 1844 un brevet relatif à un dispositif permettant de ramener l’aiguille à son point de départ. Mais nous ne connaissons pas de pièces réalisées selon ce brevet à cette période.
Il faut attendre 1862 et l’Exposition universelle de Londres, pour voir un chronographe avec remise à zéro, œuvre de Henri-Féréol Piguet ( qui travaille en Suisse pour la Maison Nicole & Capt). Un nouveau brevet est obtenu en mai 1862 qui reprend le contenu de celui de 1844. Ainsi naissent les 3 fonctions du chronographe contemporain : mise en marche, arrêt, retour à zéro. Dorénavant, il devient possible d’additionner les temps de phénomènes successifs, perfectionnement aujourd’hui présents sur tous les chronographes à double poussoir.
Depuis le début du XXe siècle, près de 400 brevets relatifs à des perfectionnements techniques (originalité du mécanisme, miniaturisation et échelles de mesure spécifiques) ont été déposés. Aujourd’hui, le chronomètre  à quartz réalise sans problème des mesures au centième et parfois au millième de seconde… mais sans le mystère qui se cache à l’intérieur de mécanismes extrêmement complexes !

 

Chronomètre de marque Hanhart modèle split 10 waterprof - fin de XXe siècle. Molette de réglage au sommet. Bouton marche/arrêt sur le côté gauche. © Musée de l'horlogerie de Saint-Nicolas d’Aliermont