Clemenceau et l’équitation

Focus sur les collections sportives du musée Clemenceau.

Anonyme, Georges Clemenceau à cheval, vers 1890, photographie du Musée Clemenceau

 

L’équitation est une activité majeure pour Georges Clemenceau (1841-1929), passionnément adoptée, pratiquée dès l’enfance sous la conduite avertie d’un père lui-même grand amateur de chevaux, jusqu’à la curiosité savante de celui-ci envers les races et la puissance animale, sensible aussi à une branche naissante des savoirs de la fin du XIXe siècle : la zootechnie, perfectionnement du « moteur animal ». Benjamin Clemenceau chasse par ailleurs, à cheval, le sanglier et le loup, à l’aide d’une meute dûment dressée. Avec ce père, « Georges allait devenir un équitant de haute qualité », apprenant à distinguer, avec le plus de précision, les exigences anatomiques des coursiers, les différences entre les races, les modes d’élevage, d’amélioration et d’entretien de leurs ressources possibles. Episode aussi triste, enfin, que révélateur sur la confiance accordée par le père. Au moment d’être condamné à la déportation par l’Empire, en 1858, Benjamin laisse une instruction précise à son épouse : « Tu diras à Georges de monter ma jument. Qu’il la ménage et ne lui tolère aucune faute ». 

A Paris, Clemenceau s’adonne à une pratique régulière. Il possède un cheval mis en pension au manège de l’Etoile, près de la porte Maillot. Il fréquente les amateurs. Il distribue observations et conseils. Il se livre, avec le plus de régularité, tous les matins, de très bonne heure, à un tour du bois de Boulogne, « respirant l’air frais avant de se rendre à son travail », signe de constance autant que de passion. 

C’est dans ce cadre qu’il connaît James Fillis (1834-1913), écuyer britannique, dresseur de chevaux de haute école. Les deux hommes s’estiment. Le savoir de Fillis est évident. Georges lui conseille d’écrire un livre sur les principes de dressage. Mais Fillis n’a pas terminé ses études primaires, et témoigne d’une réelle difficulté d’écriture, obstacle majeur. Le livre s’écrira donc sur les conseils de Georges et tous deux se rencontrent tous les jours pour parfaire le travail. Le livre sort en 1890, aux éditions Flammarion, sous le titre Principe de dressage et d’équitation. La dédicace de Fillis, ainsi conçue, ne laisse aucun doute sur le mode de « fabrication » du texte : « A Georges Clemenceau véritable auteur du livre, son ami reconnaissant ». L’ouvrage connaîtra trois éditions françaises et des traductions en anglais, en allemand, en espagnol et en russe. Preuve, s’il le fallait, de la compétence de Clemenceau dans l’art équestre, joignant à la pratique du cheval un très réel savoir de théoricien.
 

Croquis d'un cheval par le père de Clemenceau

Benjamin Clemenceau (1810-1897) 
Carnet de notes 
1846 
Manuscrit 
Musée Clemenceau 

Durant ses études de médecine à Paris, Benjamin Clemenceau, père de Georges, s’exerce à la peinture. Son sujet de prédilection sont les scènes équestres « des scènes d’écurie, de relais de chaises de poste, des fardiers s’arqueboutant dans les limons, des chevaux de courses d’après Géricault, Vernet ou de Dreux ». En 1846, il s’intéresse au dressage comme l'atteste ce carnet de leçons. Il transmettra à son fils, Georges, sa passion pour le cheval, le dressage et la haute école.
 

Couverture du livre Principes de dressage et d’équitation 

James Fillis (1834-1913) 
Principes de dressage et d’équitation 
Paris, Marpon et Flammarion, 1890 
Musée Clemenceau
 

Clemenceau conseille à l’écuyer anglais Fillis de résumer les principes de dressage qu’il mettait en pratique dans un livre. Son maître maîtrisant mal le français, Clemenceau accepte de l’aider. Tous deux se mettent à la rédaction vers 1887-1888, Fillis venant tous les jours déjeuner chez son élève, rue Clément Marot, puis s’enfermaient durant une heure dans la bibliothèque. L’ouvrage Principes de dressage et d’équitation connaît un succès considérable. Il est épuisé en six mois puis réédité en 1891 et en 1892 chez Flammarion.

photographie de Georges Clemenceau à cheval, vers 1890

Clemenceau à l'époque où il était élève de Fillis, vers 1889. Il tient ses rênes « à la française », c'est-à-dire tenir les rênes de filet plus haut que celles de bride. 

Un jour, Clemenceau invite Jacques-Émile Blanche à rejoindre, avec lui, Fillis au café des Artistes : « J’avoue qu’y ayant été, par politesse, je faillis m’endormir sur la table de marbre, tant la discussion technique au sujet d’une finesse de doigté « sur la gourmette » ou le « filet » s’éternisait.[…] Il me souvient d’une mortelle « démonstration » sur papier, avec dessins au crayon par l’écrivain (Clemenceau), à l’effet d’expliquer plus clairement aux lecteurs le « pas espagnol » […] Clemenceau décomposait et recomposait méthodiquement les diverses allures de l’animal « mis au caveçon », tel qu’il parade dans l’arène, tous clowns écartés, magnifique, princier, décrivant des huit, des changements de main, des doublés et maintes autres figures de style de l’ancien manège. » 

« Clemenceau, écuyer de haute école et écrivain hippique », Les Nouvelles Littéraires, 14 décembre 1929.