Le jeu provençal : « exercice chéri de tous les habitants du Midi » ?
Sauriez-vous identifier le sport pratiqué dans cette célèbre scène du film Fanny (Marc Allégret, 1950, sur un scénario de Marcel Pagnol) ? Facile : on y joue aux boules ! Mais attention pas à la pétanque, au jeu provençal.
Le jeu provençal ? Qu'es acò ? Pour comprendre, remontons un peu le temps.
A l’origine : Provençaux VS Lyonnais
Aux XVIIIe et XIXe siècles, le jeu de boules est très populaire en France, comme dans d’autres pays d’Europe. Surnommé « sport national », il est pratiqué partout - y compris sur la voie publique - de manière très spontanée et souvent anarchique. C’est pourquoi les premières sociétés boulistes lyonnaises entreprennent de le règlementer. Dès le milieu du XIXe siècle, il se voit enfermé dans un terrain dédié à cet effet, rigoureusement délimité. Les Provençaux refusent ce cadre et le corpus de règles étoffé qui l’accompagne. Ils continuent à jouer sur un terrain librement choisi, selon des règles qui leur sont propres. Leur variante s’impose rapidement sur un large pourtour méditerranéen, en lieu et place du « jeu lyonnais » alors dominant. Le jeu provençal est donc avant tout le fruit d’une insoumission provençale à la codification jugée trop contraignante du jeu lyonnais.
Le jeu provençal est parfois appelé « longue », en référence à la distance qui sépare les joueurs du bouchon : 15 à 20 mètres. Autre particularité du jeu provençal : les fameux « trois pas », qui sont d’ailleurs l’objet de la dispute entre César et Escartefigue dans la scène de Fanny. Au jeu provençal, l’action de tirer – lancer sa boule sur une boule adverse pour prendre sa place – est effectuée après trois pas d’élan. Pour pointer – lancer sa boule le plus près possible du bouchon - les joueurs font seulement un pas en dehors du cercle de jeu avant de lancer leur boule, en équilibre sur un pied. Dernière caractéristique : la longue se pratique avec des boules plus petites (6,5 à 8 cm de diamètre) – et donc moins lourdes – que celles du jeu lyonnais (9 à 11 cm).
La pétanque : droit au but !
Bien que moins règlementé que son voisin lyonnais, le jeu provençal demeure une discipline physiquement exigeante, requérant équilibre, adresse et endurance. L’âge venu, il n’est souvent plus possible de s’adonner aux acrobaties longuistes. C’est pourquoi, dans les années 1910, émerge une nouvelle variante de jeu de boules : la pétanque. Comme son nom l’indique, elle se pratique à pieds « tanqués » - ancrés au sol - soit de manière statique. Pas de saut, donc, ni de pas de côté avant de lancer sa boule : on joue les deux pieds joints, bien à plat. Le bouchon est envoyé moins loin qu’au jeu provençal : 6 à 10 mètres. La longueur du terrain est donc réduite… Et le temps de jeu aussi ! Une partie pétanque dure environ une heure ; une partie de jeu provençal au moins deux.
Ces caractéristiques rendent le jeu très accessible et contribuent à sa diffusion rapide, à l’échelle régionale, nationale et même internationale. Néanmoins, en Provence, elle reste longtemps perçue comme un « petit jeu », version tronquée de son plus noble aîné.
La sportivisation au secours de la tradition
Comme d’autres jeux traditionnels, le jeu provençal se sportivise au cours du XXe siècle. En 1942, l’État Français crée la Fédération française de boules pour les jeux de Longue qui devient, en 1945, la Fédération Française de Pétanque et de Jeu Provençal (F.F.P.J.P.). La Fédération règlemente le jeu et en harmonise progressivement la pratique. Elle organise les compétitions nationales et le championnat de France. Néanmoins, l’incontournable rendez-vous des longuistes est, depuis 1908, le concours du Provençal, organisé chaque été à Marseille par le journal éponyme. A son apogée, en 1983, plus de 1 800 triplettes s’affrontent dans le parc Borély. Quarante-et-un ans plus tard, pour l’édition 2024, elles n’étaient plus que 700 à se disputer le bouchon.
Au tournant du millénaire, le déclin du jeu provençal au profit de la pétanque est donc indubitable. Plusieurs facteurs expliquent cet affaiblissement. La technicité de la discipline semble un premier frein, car si les longuistes peuvent aisément pratiquer les deux disciplines, ce n’est pas le cas des pétanqueurs qui s’adonnent plus difficilement et donc plus rarement au jeu provençal. Autre écueil : le jeu provençal peine à se féminiser. Si la Fédération compte 16% de femmes parmi ses licenciés, celles-ci jouent majoritairement « à pétanque ». D’ailleurs, faute d’effectif suffisant, aucune compétition féminine de jeu provençal n’est organisée. Toutefois, une récente évolution réglementaire oblige désormais à la mixité des équipes lors des compétitions officielles et pourrait, à l’avenir, maintenir ou même renouveler les effectifs longuistes.
Les principaux centres de la pratique aujourd’hui correspondent à des localités où a été entretenue la mémoire de hauts-faits du jeu provençal. À Beaucaire, Jonquières-Saint-Vincent, Arles, Nîmes, Pertuis, Saint-Maximin, Toulon, Laragne, Marseille… la pratique sportivisée d’aujourd’hui s’inscrit dans une longue tradition.
Le titre de ce billet fait référence à une observation de l’érudit Louis-Aubin Millin, au début du XIXe siècle. MILLIN Aubin-Louis, 1807, Voyages dans les departements du Midi de la France, Paris, Imprimerie Impériale, t. II.