Le match France - Angleterre du 30 septembre 1944

Focus sur l'une des pièces de collections du Musée de la Libération de Paris

L'équipe de France – composée de onze joueurs - bondit, bille en tête, depuis le côté droit vers le but adverse, situé à gauche de l’image. À l’intérieur de celui-ci se trouve un char d’assaut baptisé «Tommy» (de «Tommy Atkins», surnom donné au soldat de l’armée britannique des deux guerres mondiales), tirant des ballons de football au canon. Il est surmonté d'un homme à tête de ballon coiffé d'un casque britannique ; au-dessus, sept parachutistes ont sauté de cinq avions quadrimoteurs en vol. Un coq chante sur le but français, devant un soleil rayonnant, en arrière-plan, semblant repousser les nuages vers le but britannique.

Caza nous présente ici une équipe de France offensive et déterminée, qui occupe les trois quarts du terrain, mais a affaire à forte partie. Les joueurs sont représentés de manière caricaturale, mais sont parfaitement reconnaissables, traits du visage et gabarits volontairement accentués : certains joueurs sont différenciés grâce à des attributs ou des attitudes propres à leurs personnalités ou à leurs rôles respectifs au sein de l’équipe. Vaast, ailier gauche, porte un panier plein de ballons comportant l’inscription «ravitaillement» : autant de «munitions» à tirer sur l’adversaire ; Aston, ailier droit, est doté d’ailes lui permettant de surplomber toute l’équipe et d’envoyer un ballon sur l’Anglais ; Jordan, attaquant, encaisse sans broncher plusieurs tirs de ballons sur la tête, le choc produisant de petites étoiles ; Jadrzejczak est retranché derrière cinq plots en forme de pyramides : référence probable aux dents de dragon antichars de la ligne Siegfried (Westwall), qui s’accorde d’ailleurs fort bien avec son poste de défenseur ; Darui, de son côté, tient une balle entre ses mains, qu’il a sans doute arrêtée en sa qualité de goal, ou s’apprête à relancer…

L’équipe britannique est présentée quant à elle comme une machine, fonctionnant de manière mécanique et ne s’aventurant guère hors de son but. Le personnage a l’air sévère et grimaçant, sa bouche est formée par les coutures du ballon. Sa main droite repose sur le masque du canon de la tourelle, il semble expliquer de la gauche sa façon de jouer à ses adversaires français, ou diriger le tir du blindé. Il est vrai qu’il est bien protégé par son casque «Brodie», dit «plat à barbe», en raison de sa forme particulière (apparu en 1915, ses successeurs affectèrent la même forme - jusqu’en 1943 - et continuèrent d’être portés par la suite). Outre son char et son équipement, il peut également compter sur le renfort de camarades parachutistes, qui arrivent des airs et semblent brûler d’en découdre.

Le samedi 30 septembre 1944, alors que la Seconde Guerre mondiale fait encore rage en Europe et dans le Pacifique et que la France n’est pas encore entièrement libérée du joug nazi, le général Koenig – vainqueur de Bir Hakeim et actuel gouverneur militaire de Paris - donne le coup d’envoi d’un match de football au Parc des Princes. Il s’agit d’une rencontre non officielle organisée entre l’équipe de France (civile) et celle de Grande-Bretagne ; c’est cette dernière qui l’emporte, par 5 à 0. Elle est composée en majorité d’internationaux britanniques issus des forces armées et sélectionnés par la Fédération anglaise de football.

Cet évènement anecdotique au niveau sportif s’inscrit dans le contexte plus large de la fin de la Seconde Guerre mondiale et plus précisément de l’Opération Market Garden (17-25 septembre 1944 ; Market désignant la partie aéroportée, Garden, la partie terrestre). Organisée par les Alliés - principalement les Britanniques - et majoritairement aéroportée, elle doit permettre de prendre des ponts aux Pays-Bas, territoire encore occupé par les Allemands. Une fois les paras rejoints par les troupes terrestres, cette manœuvre autoriserait les Alliés à contourner la ligne de défense allemande dénommée «Siegfried», et à accéder au cœur de l’un des plus importants centres industriels du Reich, situé dans la vallée de la Ruhr. L’opération a pour ambition d’accélérer la fin de la guerre, voire de la terminer – du côté occidental - pour Noël 1944. Malheureusement, elle se solde par un succès tactique allemand, et fit écrire plus tard, ainsi que le déclara un subordonné au Maréchal Montgomery, qu’il s’agissait «d’un pont trop loin».

Les différents détails militaires de l’illustration font écho à ce contexte historique particulier. Les quadrimoteurs rappellent les avions de transport militaire Douglas C-47 Skytrain (baptisé Dakota par la Royal Air Force), utilisés lors de l’opération aéroportée Market ; dans la réalité, il s’agissait cependant d’appareils bimoteurs. Les parachutistes n’étaient pas seulement ceux de la 1ère division aéroportée britannique : les 82ème et 101ème divisions aéroportées américaines et la 1ère brigade indépendante de parachutistes polonais participent également à l’opération. Le char fait quant à lui référence à l’offensive blindée menée par le XXXe corps d’armée britannique du général Horrocks et censée aboutir à Arnhem, afin d’y rejoindre les paras. Sa silhouette s’apparente ici à celle d’un char Sherman américain, effectivement et également en dotation dans l’armée britannique (l’une des deux mitrailleuses est superflue par rapport à la réalité).

Nous devons cette illustration au journaliste, caricaturiste et patriote, André Cazaumayou, dit Caza. Il travaille avant la guerre pour l’hebdomadaire pour la jeunesse «Benjamin», fondé par Jean Nohain, mais publie parallèlement ses premières et bientôt fameuses caricatures sportives dans le quotidien «L’Auto» (interdit à la libération, «L’Équipe» occupera sa place à partir de 1946) : «La galerie des champions de Caza», puis «La Case à Caza»… Une composition très similaire du même auteur est connue pour le match de rugby de la Sélection de Paris contre le Quinze de la Royal Air Force (RAF) au Parc des Princes le 11 novembre 1944 : l’adversaire britannique y est également représenté personnifié en ballon à l’air hargneux.

Cette composition a très certainement été réalisée avant la rencontre et publiée dans «L’Auto». La plupart des joueurs français l’ont signée au niveau de leur personnage légendé, ainsi que Caza et vraisemblablement un remplaçant (Jean Baratte) au niveau du soleil. La mention figurant au-dessus du personnage et du but britanniques est difficilement déchiffrable, peut-être s’agit-il d’une expression en patois signifiant : «Tu vas perdre»?!

24 heures plus tard (01/10/1944), l’équipe britannique rencontre la Belgique au stade du Daring Club de Bruxelles, Sint-Jans Molenbeek, et l’emporte 3 – 0. Ces matchs amicaux interalliés de l’époque de la libération sont les prémices du renouveau du football au plus haut niveau après cinq années de guerre et malgré des conditions matérielles désastreuses : l’espoir renaît.

Guilhem Touratier