le vélocipède jaune

Focus sur les collections sportives du musée du Domaine départemental de Sceaux.

Hippolyte Pauquet, « Courses de vélocipèdes à Saint-Cloud » dans L’Illustration, 6 juin 1868 / Wikipedia

Ce beau vélocipède est caractéristique des modèles construits dans la seconde moitié des années 1860 alors que la forme cintrée du corps des tout premiers modèles a déjà laissé place à un corps droit, en acier forgé, plus résistant et plus léger. Il est ici de section losangique, tandis que les roues sont en bois, cerclées de fer. Le pédalier à entrainement direct est fixé sur la roue avant dont il est solidaire, la rendant à la fois motrice et directrice. Sa mise en place, qui permit de passer de la draisienne au vélocipède, marqua un jalon essentiel dans l’histoire des cycles puisqu’il n’était plus nécessaire de pousser le sol avec les pieds pour avancer, c’est l’action des pédales qui assurait la propulsion du deux-roues.

vélocipède, vers 1868-1870

Fabricant anonyme, vélocipède, vers 1868-1870, bois, alliage ferreux, cuir, h. 131 cm, l. 182 cm, musée du Domaine départemental de Sceaux (ancienne collection Robert Grandseigne), inv. 64.24.4
Crédits : CD92/Musée du Domaine départemental de Sceaux, photographie Olivier Ravoire
 

La paternité de l’invention des pédales a longtemps été attribuée aux Michaux, Pierre et ses fils Ernest et Henry, carrossiers à Paris, qui, dès le début de l’année 1861, auraient ajouté un pédalier sur une draisienne en réparation dans leur atelier. L’invention ne fut pas brevetée et d’autres ingénieurs revendiquèrent par la suite la création du vélocipède, dont Pierre Lallement. Employé dans une fabrique parisienne de landaus, il aurait monté des pédales sur une draisienne en 1863 puis, partant tenter fortune aux États-Unis deux ans plus tard, emporta son véhicule Outre-Atlantique où il déposa, en 1866, un brevet pour son vélocipède. Un certain Jules Soursisseau avait également déposé, dès 1853, un brevet pour une « manivelle pédiforme », première trace officielle d’un tel système.
Si nos critères actuels nous conduisent à juger le vélocipède comme dénué de tout confort, les concepteurs de ce modèle avaient en réalité mis en place un ensemble d’accessoires visant à améliorer le bien-être du cycliste assez téméraire pour enfourcher leur véhicule. Ainsi, la suspension de l’assise s’articule par ressort à la lame supérieure afin d’amortir les chocs de la route. Pour s’adapter à la taille de l’utilisateur, l’emplacement de la selle est également réglable le long de la lame supérieure et les manivelles du pédalier, pourvues à leur extrémité d’une boutonnière qui permet de faire varier leur point de fixation, sont réglables en longueur. La roue arrière est dotée d’un frein à sabot que le vélocipédiste actionne en faisant pivoter sur leur axe les branches du guidon. A l’avant, un repose-jambe, surnommé « moustaches » en raison de sa forme évocatrice, permet au cycliste de se prémunir du danger que représente un pédalier à entraînement direct dans les descentes - les pédales tournent alors aussi vite que la roue elle-même. Enfin, les pédales en bronze comportent un gland qui, en formant contrepoids, les maintient en position d’utilisation, face supérieure horizontale.

Une identification difficile

Ce vélocipède provient de la collection de Robert Grandseigne, aviateur qui effectua en 1911 le premier vol de nuit au-dessus de Paris. Si l’objet figure parmi ceux présentés en 1961 par Pierre Sabbagh dans son émission de télévision « Avis aux amateurs » - le numéro est entièrement consacré à la collection de Grandseigne - on ignore où et quand l’aviateur a pu l’acquérir. La collection elle-même fut donnée au musée en 1964 par sa veuve.  Elle comprend deux vélocipèdes, le second beaucoup plus simple que celui-ci. 

Le vélocipède jaune ne porte pas de plaque d’authentification, ni de marque de fabricant, ce qui rend presque impossible son attribution. L’attention portée aux détails - pour la fabrication comme pour le décor - ainsi que la qualité des finissions laissent toutefois penser qu’il s’agit d’un modèle d’un certain prix. Sa vive couleur jaune, si elle est relativement rare sur les modèles conservés, ne semble pas être une exception pour l’époque. Un modèle proche, qui aurait appartenu au prince impérial, Louis-Napoléon, est par exemple conservé au Museo Napoleonico de Rome. Le château de Sceaux possède également un petit Portrait de Blanche d’Antigny, célèbre demi-mondaine du Second Empire, sur lequel le modèle est représenté portant un bloomer, culotte bouffante adoptée par les femmes pour la pratique du cyclisme, et s’appuyant sur un vélocipède dont on devine que le cadre et les roues devaient avoir une couleur presque jaune. 
 

Attribué à Henri de L’Étang, Portrait de Blanche d’Antigny, vers 1870, huile sur toile, h. 41,3 cm, l. 33,2 cm, musée du Domaine départemental de Sceaux, inv. 37.1.3
Crédits : CD92/Musée du Domaine départemental de Sceaux, photographie Julien Garraud
 

Le début des courses cyclistes

Les premières compétitions sportives virent le jour avec des vélocipèdes de ce type. D’importantes campagnes publicitaires popularisèrent ce nouveau mode de transport et rendirent sa représentation familière auprès du grand public, à défaut de son usage, encore réservé à une classe de privilégiés. Il se développa ainsi dans les dernières années du Second Empire une véritable « vélocipédomanie » avec l’émergence des premières associations d’amateurs qui réunissaient des membres de la bonne société et de l’aristocratie, le vélocipède bénéficiant de l’image d’un divertissement élégant et honorable. Le Véloce-club, première association parisienne, fut fondé en 1868. Des courses étaient régulièrement organisées au Pré Catelan à partir du printemps, puis la première course officielle se tint dans le parc de Saint-Cloud le 31 mai, elle fut remportée par l’anglais James Moore. En novembre suivant, Moore remporte le premier Paris-Rouen.

Une restauration exemplaire

En vue de sa présentation dans l’exposition « Roues libres. La grande histoire du vélo » proposée dans l’Orangerie du Domaine de Sceaux à l’occasion des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, ce vélocipède a été entièrement restauré. Le travail a été réalisé par une équipe pluridisciplinaire de cinq conservatrices-restauratrices (Julia Jouet pour le métal, Lisa-Clémentine Guillou pour le bois, Dalila Druesnes pour la peinture, Camille Alembik et Pernelle Polpré pour les matériaux organiques). Les interventions de conservation curative ont visé à assurer la stabilisation des matériaux dans le temps, avec notamment le retrait et la passivation des produits de corrosion. Des interventions de restauration ont de plus permis de retirer les couches de vernis oxydé qui donnait à l’objet un aspect brun et de retrouver sa couleur jaune vif d’origine, décorée d’un liseré noir sur le corps et les rayons des roues.