L'âge d'or du tennis

Depuis son apparition à la fin du XIX^e siècle, le tennis s’est structuré en plusieurs championnats internationaux : Wimbledon en 1877 puis la Coupe Davis – d’abord appelée International Lawn Tennis Challenge – fondée par Dwight Davis en 1900. En France, les clubs se structurent et les premiers Championnats de France voient le jour en 1891. D’abord réservés aux joueurs français, ils deviennent internationaux en 1925. C’est à cette même époque que plusieurs championnes et champions français triomphent sur les courts de tennis, comme Max Decugis, Suzanne Lenglen ou encore Marguerite Broquedis.

L’élan donné par l’émergence de ces grands champions donne à la toute jeune Fédération Française de Lawn-Tennis l’ambition de se concentrer davantage sur une victoire en Coupe Davis. C’est l’âge d’or du tennis français et de la FFLT sous les présidences d’Henri Wallet, Albert Canet et Pierre Gillou. 
 

Après plusieurs tentatives infructueuses, quatre joueurs français permettent à la France de remporter la victoire face à l’équipe américaine jouant à domicile. Surnommés les « Mousquetaires », il s’agit de Jean Borotra, Jacques Brugnon, Henri Cochet et René Lacoste. 

Le premier (1898-1994) est appelé le « Basque bondissant » en référence à ses origines et son jeu spectaculaire et offensif. Il est champion de France en 1924 et 1931, de Grande-Bretagne en 1924 et 1926 mais aussi d’Australie en 1928. 

Jacques dit « Toto » Brugnon (1895-1978) se spécialise dans les victoires en double et en double mixte. Il remporte cinq fois les Championnats de France puis Internationaux de France avec Suzanne Lenglen entre 1921 et 1926, quatre Wimbledon en double ainsi que le double en 1928 en Australie. Aux Jeux olympiques de 1924, il s’associe à Cochet pour remporter une médaille d’argent.

Henri Cochet (1901-1987) est considéré comme le n°1 mondial entre 1927 et le début des années 1930. En effet, il gagne quatre titres français en simple, deux en Angleterre – Wimbledon – et le championnat américain en 1928. En double il remporte aussi trois titres en France et deux à Wimbledon. Aux JO de 1924, il remporte deux fois l’argent, en simple et en double.

Enfin René Lacoste (1904-1996), le « Crocodile », tennisman, inventeur et industriel. En simple, il remporte trois titres français entre 1925 et 1929, deux titres anglais et deux victoires américaines. Associé à Jean Borotra, il gagne plusieurs championnats internationaux en double ainsi que la médaille de bronze aux JO de 1924. Malgré une retraite précoce, il marque aussi l’histoire du tennis par ses inventions : une machine lance-balles pour les entraînements en 1928, des dispositifs anti-vibration, une raquette métallique en 1963 ainsi que la marque de vêtements éponyme. Possédant chacun des styles de jeu différents, ils furent cependant tous influencés par celui de Suzanne Lenglen.

Les quatre équipiers, qui avaient commencé à jouer ensemble dès 1923, remportent la victoire face aux Américains à Philadelphie le 10 septembre 1927. Après un défilé sur la Cinquième Avenue, les joueurs, leur capitaine Pierre Gillou… et le Saladier d’Argent repartent en France. Il est désormais temps de penser à l’organisation du Challenge Round.

Les instances françaises du tennis doivent rapidement mettre en place – en neuf mois – un projet répondant aux exigences de ce tournoi majeur car on juge qu’aucun stade n’est suffisamment imposant pour accueillir l’événement. Au même moment, la concession du stade Jean Bouin, situé Porte d’Auteuil, prend fin. Plusieurs institutions proposent de la reprendre. C’est finalement le projet du Stade français et du Racing Club de France qui propose l’offre économique la plus généreuse qui est retenu. Disposant d’une concession de 99 ans, les deux clubs, présidés pour le Racing par Pierre Gillou et pour le Stade français par Émile Lesieur, se lancent dans la construction du futur stade. De plus, les deux hommes décident de garantir par eux-mêmes le financement du projet. La seule revendication d’Émile Lesieur est le nom du futur stade : Roland Garros, en hommage à son ancien compagnon stadiste et aviateur mort au combat en 1918.

Après un concours restreint, faisant surtout appel à des architectes « stadistes », le premier projet retenu est celui des architectes Bézard, Bouzou et Lhuillier. Le plan prend la forme d’un stade octogonal, muni d’un déambulatoire permettant d’abriter les spectateurs en cas de pluie et de les orienter vers les loges. La façade extérieure, de style anglo-normand avec un toit composé de tuiles plates de Bourgogne et de lucarnes, est pensée pour s’intégrer dans le décor. Il est cependant abandonné car jugé trop onéreux.
Face à l’urgence du projet, c’est une architecture complètement différente qui est choisie, incarnée dans les travaux de Louis Faure-Dujarric, membre du Racing Club de France. Né en 1875 et diplômé de l’École des beaux-arts de Paris, ce peintre et architecte a déjà fait ses preuves en construisant en un temps record le stade de Colombes pour les Jeux olympiques de 1924 ou l’hippodrome de Buenos Aires en 1908.
À Roland-Garros, il reprend l’utilisation du béton armé pour construire une structure supportant les quatre tribunes en bois démontables entourant dans un premier temps le court Central. Les tribunes A et D ne comportent que des gradins tandis que l’on retrouve les loges dans les tribunes B et C réservées à un public plus aisé. Au total, ces tribunes en bois démontables comportent 10 258 places.
Le stade se démarque par une économie d’ornements, mais un motif passe néanmoins à la postérité et lui assure son identité visuelle jusqu’à aujourd’hui. Il s’agit de la croix de Saint-André. Elle permet de décorer les façades extérieures des tribunes de façon économique. Depuis, ce motif n’a cessé d’être réintégré dans les rénovations successives du stade. Le reste des installations répond aussi à des impératifs d’économie : les constructions et chalets déjà présents sur le stade sont reconvertis en vestiaires.

L’autre symbole iconique du stade Roland-Garros est sans conteste la terre battue. D’abord née sur les courts méditerranéens, la composition de la terre battue est perfectionnée par l’ingénieur et paysagiste Charles Bouhana qui la met en place à Roland-Garros dès 1928.
La surface du court se compose de plusieurs strates. Au-dessus, une couche de pierres, en guise de filtre, puis une couche de gravillons, avant le mâchefer et le craon calcaire. Ne manque que la partie visible : la brique pilée. Aujourd’hui, plus d’une tonne de brique pilée par terrain est nécessaire pour confectionner les deux millimètres de ce tapis rouge.

Désormais, le stade est doté d’un service d’entretien des courts qui compte une dizaine de personnes à l’année pour atteindre 185 employés lors du tournoi. C’est alors une routine précieuse qui s’installe :  la terre est balayée le matin puis, pendant les matchs entre chaque set, elle est lissée par un filet à traîner et enfin arrosée massivement le soir à l’aide d’un tuyau à lance en laiton.

Le stade est officiellement inauguré le 18 mai 1928. Le lendemain, ce sont deux femmes – Madame Lafaurie et Miss Bennett – qui foulent en premier la terre battue lors d’une rencontre France-Grande-Bretagne.  
Les premiers Internationaux de France à Roland-Garros sont disputés à partir du 21 mai 1928 avec une semaine consacrée aux doubles et l’autre aux simples. Cette première édition voit triompher Henri Cochet en simple Messieurs, la jeune américaine Helen Wills en simple Dames ainsi que Jacques Brugnon et Jean Borotra en double.
Le succès est au rendez-vous mais deux grandes figures manquent aux spectateurs : Suzanne Lenglen et le champion américain Bill Tilden suspendus pour professionnalisme. Lors de ces premiers tournois, le prix d’un billet debout est de 15 francs, 150 francs pour une loge et 300 francs pour un abonnement.

Le 30 juillet 1928, la France remporte pour la seconde fois la Coupe Davis face aux Américains devant une foule de 12 000 personnes excédant largement la capacité du stade. Dès le 1^er août 1928, le Saladier d’Argent est exposé à Roland-Garros.
Le nouveau triomphe des Mousquetaires en 1928 ainsi que les victoires françaises ininterrompues jusqu’en 1932 pérennisent l’existence du stade et les travaux se poursuivent sous la direction de Louis Faure-Dujarric.

Les tribunes en bois démontables sont remplacées par des tribunes de ciment. La chaise d’arbitre est équipée d’un microphone et un tableau d’affichage électrique est mis en place. On orne aussi les alentours du court Central de fleurs, de pelouses et d’espaces de sociabilité.
Si certaines légendes françaises arrêtent précocement leur carrière, de nouveaux talents éclosent comme Simonne Mathieu qui s’engage dans les Forces françaises libres de Londres lors de la Seconde Guerre mondiale, Yvon Petra – dernier champion français à Wimbledon – ou encore Marcel Bernard, vainqueur de Roland-Garros en 1946.

Au cours des transformations successives du stade bientôt centenaire, l’empreinte de l’âge d’or du tennis est conservée, patrimonialisée voire magnifiée dans l’enceinte de Roland-Garros. Plusieurs courts prennent le nom de championnes et champions de cette période comme le court Suzanne-Lenglen ou bien le court Simonne-Mathieu au cœur des Serres d’Auteuil. C’est également le cas de certains objets symboliques comme les coupes. La coupe des Mousquetaires récompense ainsi le vainqueur du simple Messieurs, la coupe Suzanne-Lenglen la gagnante du simple Dames et la coupe Jacques-Brugnon les gagnants du double Messieurs.