Nice - Carnavals sportifs (1877-2024)

Focus sur l'exposition « Nice - Carnavals sportifs » qui célèbre plus de 150 ans de relations entre le sport et le carnaval à Nice.

Maquette du char de Sa Majesté Roi du Stade Olympique, 1976 © Archives Nice Côte d’Azur (fonds Annie Sidro)

Le Carnaval de Nice attire tous les hivers depuis 1873 plusieurs centaines de milliers de spectateurs. Nice s’est dans le même temps imposée comme terre d’accueil incontournable de grands événements sportifs internationaux : le Paris-Nice, le Mondial de rugby, les championnats du monde d’Ironman, l’arrivée du Tour de France 2024… et les Jeux olympiques d’hiver de 2030. 
L'exposition rend compte du croisement de ces deux univers.

Valeurs sportives
Nourri de l'esprit de compétition des Grecs anciens et de la culture anglaise du XIXe siècle, le sport moderne s'est construit autour de valeurs de dépassement de soi, de renommée et d'exploits, les athlètes contemporains s’imposant comme les successeurs des héros de l’Antiquité. 

Les carnavaliers niçois se sont plu à détourner et retravailler les codes du monde sportif. 
En 1900, l’imagier Alexis Mossa propose deux chars allégoriques. L’un reprend le motif de la Renommée, jeune guerrière ailée qui récompensait les athlètes lors des Jeux, figure associée aux valeurs de l’olympisme : la Victoire, la Paix et la Liberté. L’autre est son pendant masculin, Héraclès, incarnation de la force virile : le demi-dieu aurait organisé avec ses quatre frères une course dont il couronna le vainqueur d’une branche d’olivier, avant de créer les Jeux olympiques.

Un siècle plus tard, sous la direction artistique de Gad Weil, une version contemporaine de cet Hercule renaît dans les ateliers du carnavalier Jean-Pierre Povigna.

« Tout aux sports »
En 1873, afin de faire du Carnaval l’attraction phare de la saison d’hiver, la Ville de Nice constitue un comité des fêtes présidé par les comtes Caravadossi d’Aspremont puis Spitalieri de Cessole. Les bénéfices engendrés par cette manifestation à destination des riches hivernants financent le bureau de bienfaisance, les Petites Sœurs des Pauvres, l’hôpital Saint-Roch, les crèches, l’institution Don Bosco, etc. Dans les coulisses de la fête, chars et grosses têtes sont construits par des carnavaliers de toute origine, qui, en 1922, se regroupent en quatre associations (Amicale des constructeurs carnavalesques, Les As, Les Artisans et L’Union). Le comité des fêtes valide leurs projets et décerne des prix mais sans thème imposé jusqu’aux années 1930 : mascarades, groupes et chars s’inspirent librement de l’actualité et suivent notamment l’émergence de nouvelles pratiques sportives dans les couches les plus aisées de la société puis dans les classes populaires.

Cyclisme, gymnastique (char « La barre fixe » en 1882), régates, escrime et boxe anglaise sont les disciplines les plus représentées à la Belle Epoque. Les arts martiaux n’apparaissent qu’au début du XXe siècle (1906 : masques « Premier cours de jiujitsu » et « Une victime de jiujitsu »). Il faut attendre 1909 pour qu’Esteban Jarnach consacre un char au « Concours de natation », et 1914 pour voir un char consacré aux « Sports d'hiver sur la Côte d'Azur » (Gianoli, Pin et Pencenat). Plus populaires, les sports de lutte sont à l’honneur dans l’édition de 1935 consacrée à la foire et au cirque. Enfin, en 1922, les carnavaliers Alexis et César Sidro s’associent au statuaire Cesare Chiavacci pour créer un char qui rend hommage à la fois à la championne de tennis Suzanne Lenglen et à tous les sports. La figure de Suzanne reviendra sur un char de 1997.

Carnaval de Nice 1922. Char tout aux sports. Carte postale

Carnaval de Nice 1922. Char tout aux sports. Carte postale E. Le Deley. Archives Nice Côte d’Azur

Vélocipèdes au carnaval
C’est le vélo qui constitue le premier thème sportif du Carnaval de Nice avec, dès 1877, un masque isolé d’Antoine Cardon : les « Vélocipèdes à la Daumont ». Trois ans plus tard, Lorenzi remporte un prix d’honneur avec son char « Les Vélocipèdes ». Les années 1880-1890 voient le vélo à l’honneur dans de multiples mascarades.
En 1890, de retour de leur périple d'environ 3 300 kilomètres en tricycle chargé de 30 kg de bagages, les artistes carnavaliers Jarnach et Gimello reviennent avec un projet d’ouvrage illustré et, surtout, un char représentant un tricycle aux roues de 13 mètres de haut chevauché par un jockey, qui a les honneurs de la presse illustrée britannique.
L’inventivité des carnavaliers dans la reprise de mêmes thèmes est prouvée par la réutilisation en 1950, puis en 1973, de la composition « Froufrou 1900 » de G.-A. Mossa de 1934 pour le constructeur Marius Brunetti (très décriée en son temps par les clubs de cyclo randonneurs…).
Dans les années 1980, Audibert réalise successivement un « Trial inattendu » et « Les Rois de la petite reine ». Lors de l’édition sportive de 2012, Phil Callaghan compose un char consacré au dopage dans le cyclisme, tandis que, chez Cédric Pignataro, le prince Charles arpente la Prom’ à Vélobleu ! En 2024, c’est la caravane du Tour de France qui incarne la culture populaire pour Émilie Camatte et la famille Durand.
 

Gravure représentant le carnaval de Nice en 1890

D’après Jean Gilletta (1856-1933). « Nice Carnival ». Gravure sur bois de bout parue dans L'Illustrated London News, janvier 1890. Collection particulière
 

Char du carnaval de Nice représentant un coureur cycliste dopé

Char Le Dopage, place Masséna, 2012. Cliché Ville de Nice

1977 : Roi du Stade olympique
En 1977, première édition entièrement dédiée au sport, Sa Majesté Carnaval XCIII est le Roi du Stade Olympique, après les succès français aux XXIe Jeux olympiques d'été (Montréal) et malgré les piteuses performances de nos athlètes aux XIIe Jeux olympiques d'hiver (Innsbruck). Sa Majesté Carnaval, collaboration entre l’imagier Damien Lanfranchi et Alexandre Sidro, revient aux origines grecques de l’olympisme, à l’instar des « Courses de char dans l’Antiquité » de Loulou Schiaffino. 
Jean-Pierre Povigna rend hommage à l’ensemble des athlètes de la délégation française dans son grand char « Les Qualifiés des olympiades » qui remporte le 1er prix, tandis que des groupes de grosses têtes (par Belgrano, Franzino, Ferrero, Damiano, Brunetti, Musso…) évoquent les médailles, les coupes, la flamme olympique, le chrono, la compétition, mais aussi les supporters, les « télé-sportifs », la presse, le « coureur de fonds », le soigneur…
Sur le char de Mme Carnaval « Reine du Judo », de Louis Pignataro, un judoka asiatique fend les airs, sans ressemblance aucune avec le médaillé de bronze en mi-moyen Patrick Vial. Les sports d’hiver inspirent une « Glissade triomphale » au carnavalier Brusa. Deux chars, « La Pêche au tout gros » et les « Sports nautiques » ridiculisent les performances des nageurs français. Le char de Povigna, « Championnat poids coq », reprend un classique du carnaval, le combat de boxe, qui se décline aussi avec les grosses têtes de Casili ou Arnaud. Quant au char « Jumping inattendu » de Schiaffino, il rappelle la médaille d’or des cavaliers Parot, Roche, Roguet et Rozier. Alors que l’escrimeuse Véronique Trinquet, licenciée à l’OGC Escrime, est vice-championne olympique au fleuret par équipe, le char « Combat d’escrime » évoque la discipline, mais à la mode d’un conte de Perrault. 
Sont donc conviés à la fête niçoise tous les sports olympiques… et même certains qui ne le sont pas comme l’aviation ou le sport automobile.

Défilé du carnaval de Nice 1977. Char « Glissade triomphale ». Archives Nice Côte d’Azur (fonds du service photographique municipal)

Dessin du char "Madame Carnaval Reine du Judo" de 1977

Programme officiel du carnaval de Nice 1977. Madame Carnaval Reine du Judo. Archives Nice Côte d’Azur (fonds du Comité des fêtes de la Ville de Nice)

Carnavals contemporains 
Parmi les éditions modernes du Carnaval de Nice, celles de 1997, 2007 et 2012 ont toutes trois abordé le thème du sport, reflétant ainsi l'engouement populaire pour les événements sportifs internationaux de leur époque.

L'édition 1997 du Carnaval de Nice, sous le thème « Roi des Sports », célèbre la diversité des disciplines sportives, huit mois après les Jeux olympiques d’Atlanta, alors que les championnats du Monde d'athlétisme de Paris se déroulent les 7-9 mars 1997 et que les XIIIe Jeux Méditerranéens seront accueillis en juin 1997 à Bari (Italie).

Lors du Carnaval de 2007, la France se prépare pour l'élection présidentielle (16 mai 2007) mais également pour l’accueil de la Coupe du Monde de Rugby (septembre-octobre 2007). Ces thématiques se conjuguent dans une édition intitulée « Le Roi de la Très Grande Mêlée » : le char du Roi représente le Président Chirac tenant un ballon de rugby. La France peine à se remettre de sa défaite traumatisante face à l’Italie lors de la Coupe du Monde de Football 2006 : sur le char « Zizou rejoint la politique », la tête de Zinedine Zidane sur un corps de mule évoque son fameux coup de boule donné à Marco Materazzi.

L'édition 2012 du Carnaval de Nice honore une fois de plus le monde du sport avec le thème « Roi du Sport, Roi du Monde », en écho aux Jeux Olympiques d'été qui vont se dérouler à Londres et voir les nageurs niçois triompher. Cette édition se fait également plus satirique et aborde la question du dopage dans les compétitions de cyclisme à la suite de nombreux scandales notamment dans les éditions du Tour de France – et notamment la disqualification du maillot jaune américain Floyd Landis, pour dopage en 2006.
 

Char de Sa Majesté Roi de la Très Grande Mêlée, 2007. Archives Nice Côte d’Azur (fonds Annie Sidro)

Le défilé des Géants du Mondial
Lors du lancement de la Coupe du monde de football 1998 à Paris, des millions de téléspectateurs assistent à un gigantesque défilé conçu par Jean-Pascal Levy-Trumet et produit par Gad Weil. Deux ans de préparation ont été nécessaires pour concevoir et réaliser cette fête populaire aux airs de carnaval qui met en scène quatre géants représentant les quatre parties du monde :  Pablo (Amérique), Roméo (Europe), Ho (Asie) et Moussa (Afrique). Ces quatre personnages sont nés à Nice, dans les ateliers de la famille de carnavaliers Povigna. 
Chacun des géants mesure 20 mètres de haut et pèse 38 tonnes et est composé d’un squelette métallique aux articulations mobiles camouflés sous un habillage gonflable. Ils glissent sur des engins à chenilles, comme de monstrueux patins à roulettes, pilotés par cinq professionnels. Il s’agit d’un record pour cette famille de carnavaliers dont la plus haute réalisation, 14 mètres, datait de 1976 (char King Kong).
Cette fête célébrant le football reste le plus grand spectacle de rue jamais organisé dans les rues de la capitale.