Le rugby et l'armée

Focus sur le patrimoine sportif du Musée de l'Armée et des transmissions.

Une partie de rugby : la mêlée 1915 © Jean Segaud | Musée de l'Armée

 

D'après la légende, c'est en 1823, lors d'une partie de football entre lycéens dans la ville de Rugby en Angleterre, qu'un jeune homme nommé William Webb Ellis fut le premier à ramasser le ballon et à courir en le portant vers la ligne de but de ses adversaires. La pratique de rugby s'exporte ensuite dans la deuxième moitié du XIXe siècles dans les grandes villes portuaires de l'ouest de la France, où les communautés anglaises sont importantes. Cette pratique sportive se diffuse également à Paris et le premier titre de champion de France est décerné en 1892 après une finale entre deux clubs parisiens.

Sport très majoritairement pratiqué dans la capitale jusqu’à la fin du XIXe siècle, le rugby est alors considéré en France, comme une activité exclusivement de loisir - plutôt aristocratique ou d'élite - et ne contribue pas à l’entraînement des soldats contrairement à d'autres sports comme l’escrime ou la lutte. C’est à la fin du XIXe siècle que Pierre de Coubertin tente d’intégrer la pratique du rugby à XV à l’école et dans l’armée. D’abord réticente, l’armée prend peu à peu conscience du potentiel du rugby. Tout d’abord, d’épisodiques matchs de rugby sont organisés durant les services militaires obligatoires, puis en 1904 un premier championnat militaire de rugby voit le jour. Néanmoins c’est la Grande Guerre qui va réellement permettre au rugby de se faire connaitre à plus grande échelle, auprès d'un public plus divers en termes de classes sociales et de continuer son ascension en France. 

La concentration de milliers d’hommes ainsi que la nécessité de leur trouver des occupations quand ils ne sont pas aux combats contribue en effet à la diffusion du rugby pendant la Première Guerre mondiale. À en croire la presse de l’époque, les courriers de poilus et les photographies, des matchs amicaux sont régulièrement organisés à l’arrière des lignes de front. Comme celui-ci (voir photographie en début d'article), photographié en 1915 par Jean Segaud (1879-1946), incorporé dans un régiment d’infanterie, qui durant toute sa mobilisation documente son quotidien de soldat. 

L’ampleur que prend cette pratique sportive entre les tranchées de 2e et 3e lignes parvient jusqu’à l’état-major français ; celui-ci décide de prendre la main sur l’organisation de ces rencontres et les officialisent. Une équipe de France militaire voit le jour et rencontre même l’équipe militaire de Nouvelle-Zélande en avril 1917 au Bois de Vincennes. Ce match se termine par la défaite 40-0 des Français, devant un public venu en nombre. Et alors que le traité de paix de Versailles est en cours de négociation, une grande compétition de rugby est organisée entre Alliés que l'équipe de France militaire remporte ! Le retentissement médiatique de cette victoire est telle que la Fédération Française de Rugby (FFR) est créée en 1920.

La Première Guerre mondiale, outre ses destructions et son terrible bilan humain (depuis, chaque année en novembre, les rugbymen français portent fièrement sur leurs maillots un bleuet, hommage aux soldats/joueurs tués pendant la Première Guerre mondiale), porte en héritage le développement des grands sports comme le football et le rugby. Sa pratique au front a permis la diffusion de celui-ci dans de nouveaux milieux de la société française. Ce sport connaitra alors l’ascension qu’on lui connait jusqu’à nos jours. 

Les valeurs portées par le rugby s’incarnent parfaitement dans les armées : le sens du collectif, la discipline, la contrôle de soi et la combativité. Le rugby est souvent qualifié de brutal, une violence que l’on retrouve très peu dans les autres sports collectifs. Afin de contenir tout débordement, le rugby exige donc une grande maîtrise de soi et une discipline de fer. S’il y a bien un sport où la symbolique guerrière est présente, c’est bien le rugby. Le haka des All Blacks n’est-il pas le meilleur exemple ? Véritable chant guerrier, cette danse chantée est réalisée à chaque début de match pour défier l’ennemi, assimilant de fait le rugby à un combat. Le joueur, comme un soldat, apprend à développer un sens du collectif, à obéir aux ordres et à suivre les stratégies. Le rugby renforce le mental et soude les joueurs sur le terrain.

Le Ministère des Armées favorise tout particulièrement les sports de combat et les sports collectifs, afin de promouvoir au sein des trois armées (air, terre, mer) des valeurs jugées indispensables à l’action militaire. À tel point qu’aujourd’hui le rugby est pratiqué dans toutes les armées. Le rugby dit de la Défense est partenaire de la Fédération Française de Rugby et dispose de quatre équipes, présentes lors de compétitions internationales, civiles ou militaires. 

En 2022, la première coupe du monde de rugby militaire féminine a vu le jour. 105 ans après la correction infligée par les néo-zélandais aux militaires français, les françaises sont allées remporter ce premier titre mondial en Nouvelle-Zélande ! Leurs homologues masculins font de même, un an plus tard, lors de la quatrième édition de la coupe du monde de rugby militaire disputée en Bretagne, où ils sont sacrés champions du monde. Le Ballon ayant servi lors de cette finale est exposé aujourd’hui au sein de l’exposition « Le sport dans l’armée de Terre : évolution et reconstruction » au musée des Transmissions. 

Ballon de la finale de la coupe du monde de rugby militaire homme 2023

Ballon de la finale de la coupe du monde de rugby militaire homme 2023