Visions du sport : Luigi Castiglioni (1936-2003)

Entre surréalisme et hyperréalisme, Luigi Castiglioni est le grand annonceur des spectacles sportifs. 

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TÉMOIN DES GRANDS ÉVÈNEMENTS

Luigi Castiglioni crée sa première affiche sportive en 1972 à l’occasion du championnat du monde de boxe dans la catégorie des poids moyens, opposant l’Argentin Carlos Monzon au Français Jean-Claude Bouttier. Il rencontre immédiatement un vif succès et devient incontournable pour représenter d’une façon artistique le spectacle sportif. L’affiche de Castiglioni constitue le témoin d’un moment sportif et médiatique. La boxe constitue son entrée dans l’univers sportif, puis il s’intéresse au football, rugby, tennis, cyclisme, golf, hockey sur gazon, tennis, et à l’athlétisme… L’événement sportif d’ampleur internationale capte son attention. Il est sollicité pour réaliser l’affiche de rencontres ou matchs attendus par des millions de fans. Castiglioni s’impose comme l’annonceur des duels légendaires dans les sports individuels ou collectifs : boxe, football, tennis…      

Championnat du Monde 1972 au Stade Yves du Manoir à Colombes

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Sur le conseil de Rodolfo Sabbatini, cette affiche commandée par Charley Michaelis, patron du Palais des Sports de Paris, fut pour Luigi Castiglioni l’occasion de s’exprimer dans une nouvelle forme artistique. Elle fut surtout le point de départ d’une révolution dans le domaine de l’affiche sportive ; rien de semblable n’avait été fait auparavant. L’alliance du surréalisme à cette forme de poésie qui caractérise son style pour exprimer le « noble art », créa l’étincelle qui le fit découvrir au monde parisien du sport, de la presse, et au public des afficionados.
Sa carrière d’affichiste était lancée. 

Finale de la Coupe d’Europe des Clubs Champions, à Glasgow (Ecosse), 12 mai 1976

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L’affiche d’un grand rendez-vous des passionnés du ballon rond : la finale de la Coupe d’Europe des Clubs Champions. Les deux meilleures équipes européennes s’affrontent : l’AS Saint-Etienne face au Bayern Munich. Certainement conscient des enjeux extra-sportifs de cette rencontre, Castiglioni décide de mettre en avant les couleurs nationales plutôt que celles des clubs. Ainsi, l’affrontement représente le duel entre Français et Allemands. La rivalité historique entre les deux pays s’installe sur le terrain sportif avec cette confrontation. L’écrivain britannique George Orwell écrivait :

Le sport c’est la guerre, les fusils en moins.

Ce match rappelle indirectement l’antagonisme entre ces deux nations.     

Affiche du Mondial 1982

Coupe du Monde de football 1982

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Dans cette affiche créée à l’occasion du Mundial de football 1982 en Espagne, quoi de plus évocateur dans l’imagerie populaire que ce taureau symbole de puissance et de combativité ? Sur un fond aux couleurs du pays, surgit l’animal venant pour affronter l’adversaire dans sa course. Sur sa tête composée de ballons apparaissent les couleurs du drapeau national et le vert de la pelouse. TF1 utilisera ce visuel en ouverture de toutes ses retransmissions des matches du Mundial 1982

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LE TRAIT EXPLOSIF

Et si on définissait l’art de Castiglioni ainsi : une sensibilité au trait explosif.?

 Voilà comment on peut qualifier les premières émotions que l’on ressent à l’observation des productions du natif de Milan. De nombreuses affiches représentent un volcan en ébullition, une explosion de pierres, le jaillissement de la mer, le surgissement d’un gant de boxe sorti d’un stade, un décollage de gants, une balle de tennis qui explose... L’inspiration est certainement façonnée par un penchant surréaliste et un fort sentiment religieux. Très souvent, la nature et le surnaturel se rejoignent dans ses productions pour délivrer une œuvre extraordinaire. En fait, son travail repose sur un art explosif, voire volcanique, complètement assumé. Plusieurs de ses oeuvres donnent à voir un surgissement, celui de la passion ou de la révélation sportive. Le sport semble s’élever ou sortir de terre ou de mer, telle une créature divine.  

France-Ajax d'Amsterdam 1974

Match de gala explosif, au Parc des Princes, entre les Bleus de Marius Trésor, Jean-Marc Guillou et Georges Bereta, et la légendaire équipe de l’Ajax d’Amsterdam, reine d’Europe avec plusieurs titres majeurs dont celui de la Coupe d’Europe des Clubs Champions. Le club hollandais s’illustre également par un jeu spectaculaire et des joueurs exceptionnels tels que le meneur de jeu, le fameux numéro 14 : Johan Cruyff. La rencontre se déroule au Parc des Princes, devenu le stade du Paris Saint-Germain

Championnats internationaux de tennis de Nice 1978

Impression immédiate quand on aperçoit cette affiche : « La raquette surgit d’une mer de songes, pour arrêter la balle qui passe telle un météorite » (extrait de Luigi Castiglioni, le sport en affiches, éditions Alternatives, 1986). Rendez-vous incontournable du calendrier du tennis mondial. Les championnats internationaux de Nice, joués sur terre battue, constituent l’une des compétitions de préparation au tournoi de Roland Garros du mois de mai. Cette année 1978, le finaliste est le jeune prometteur Yannick Noah, le local, battu par l’Espagnol José Higueras, joueur expérimenté et spécialiste de la surface.

Carlos Monzon vs Rodrigo Valdez 1976

Depuis le premier combat (Jim Sullivan-Georges Carpentier pour un titre de champion d’Europe) organisé en 1912, la Principauté monégasque se passionne pour le noble art. Le Stade Louis II accueille le duel, qui s’annonce ardent, entre Carlos Monzon et Rodrigo Valdes, pour le sacre mondial dans la catégorie des poids moyens.

« Au moment où Luigi Castiglioni appose sa signature sur l’original de l’œuvre, une goutte de sueur tombe de son front et macule le dessin. Cette tache, juste sur le gong, figurera sur l’affiche imprimée, l’artiste n’ayant pas eu le temps de retoucher son original » (extrait de Luigi Castiglioni, le sport en affiches, éditions Alternatives, 1986). L’affiche vécue comme un travail épuisant

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L'ARTISTE ENGAGÉ

« On n’a pas le droit de rester muet devant la souffrance. C’est un devoir de venir en aide à ceux qui sont démunis » disait Luigi Castiglioni.

L’œuvre de l’artiste italien ne se limite pas au seul sport. Très sensible aux causes humanitaires, durant les années 1980, il dévoile un pan du véritable artiste engagé. Son art se conjugue avec de multiples actions humanitaires dans de nombreux pays : aide au boat people cambodgiens, un bateau pour le Liban. L’engagement est aussi politique. Luigi Castiglioni accorde une importance majeure à toutes les actions de lutte contre les régimes politiques où la liberté et la démocratie sont bafoués. Ainsi, il dessine pour le mouvement Solidarnosc de Lech Walesa en Pologne, produit plusieurs affiches pour soutenir le combat mené par des organismes comme Médecins du Monde ou La Croix Rouge. En tant que citoyen, il s’engage également pour la démocratie en promouvant l’action de voter.

Votre Solidarité, 1982

Sur fond de carte de la Pologne, apparaît un visage de femme qui pleure une larme de sang. Affiche créée à la demande de Bernard Kouchner, alors président de Médecins du Monde, à l’occasion du lancement de la compagne humanitaire destinée à venir en aide au mouvement des chantiers navals de Gdansk conduit par Lech Walesa « Solidarnosc ».

« Votre Solidarité » est sans conteste une des œuvres majeures de Castiglioni.

La Croix Rouge 1990-1991 

Affiche commandée par la Croix Rouge Internationale à l’occasion de la Campagne mondiale pour la protection des victimes civiles de la guerre.

Détresse et résignation se lisent dans les yeux de cette jeune femme prisonnière des barbelés, sous le souffle des balles couleur sang, dans la nuit éclairée par les bombardements.

SOS Boat People, 1982

En mer de Chine, une main salvatrice tendue à cette enfant, ces hommes, ces femmes qui fuient sur des embarcations de fortune et meurent victimes des tempêtes, des maladies et des pirates. Affiche créée pour Médecins du Monde.

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PORTRAITISTE DES ICÔNES

Fin observateur de la société, Castiglioni a remarquablement peint les figures du XXe siècle. Le choix fut personnel ou commandité par des organes de presse (Le Point, L’Express). A travers ces productions défilent de véritables icones qui ont marqué le monde politique ou sportif. On rencontre : Victor Hugo, l’écrivain engagé, Georges Pompidou, le président poète et passionné d’art contemporain, Jimmy Carter, le premier président américain originaire du Sud profond, ou le Russe Mikhaïl Barychnikov, l’un des danseurs et chorégraphes les plus influents du siècle dernier… Les championnes et champions occupent une place privilégiée dans le catalogue des portraits. C’est un « voyage de rêve » à travers une époque, une idée des disciplines emblématiques et une certaine façon de voir le sport. Bjorn Borg évoque la domination sans égal de « l’homme à la chevelure blonde » dans le circuit du tennis mondial. Carl Lewis exprime l’élégance d’un athlète extraordinaire aussi performant dans les épreuves de sprint que dans le saut en longueur. Monica Seles (originaire de Yougoslavie) livre les premières pages des talentueuses jeunes joueuses de tennis, venues des pays de l’Est

Portrait de Carl Lewis

Portrait de Carl Lewis, 1991

Figure incontournable de l’athlétisme des années 1990. Aux yeux des amoureux du sport, l’Américain Carl Lewis incarne l’élégance et l’esprit de compétition des grands athlètes. Comme le légendaire Jesse Owens (excellent au sprint et au saut en longueur), Carl Lewis est un athlète complet doté d’une vivacité affligeante et d’une légèreté dans les airs. Au moment où Castiglioni réalise ce portrait, Lewis est une légende olympique après avoir décroché six médailles d’or et huit titres de champion du monde !  « King Carl » titre souvent la presse pour pointer les exploits de l’ancien étudiant de l’Université de Houston.

Bjorn Borg

Portrait de Bjorn Borg, 1976

Le Suédois est considéré comme l’un des plus grands tennismen de tous les temps. Il construit sa notoriété dans les succès sur terre battue, notamment au tournoi parisien de de Roland Garros. A 18 ans, il devient le plus jeune vainqueur de la compétition. Auprès du public, il dégage une impressionnante image « glaciale ». La douceur d’un visage angélique et sa chevelure blonde soignée sont troublantes quand on l’imagine battre férocement et sans montrer le moindre sentiment de nervosité de redoutables adversaires. Borg fascine aussi par son jeu défensif, néanmoins très spectaculaire. C’est certainement ces caractéristiques qui ont inspiré Castiglioni.       

Portrait de Monica Seles, 1993

A 16 ans et demi, en juin 1990, Monica Seles remporte le tournoi de Roland Garros : un exploit jusqu’ici jamais égalé. Quelques mois plus tard, la native de Novi-Sad (Yougoslavie) devient la plus jeune numéro 1 mondial. Elle domine le tennis à tel point qu’elle met fin au règne de l’Allemande Steffi Graff. Dans le monde du tennis, Seles marque une époque avec ses cris rageurs dans chaque échange. Malgré son jeune âge, elle se distingue par une force de caractère et une rage de vaincre complètement inédites sur le circuit féminin. En 1993, à Hambourg, elle est poignardée en plein match par un déséquilibré allemand « fan de Steffi Graff ». L’image est diffusée sur toutes les chaînes télévisées du monde. Castiglioni a été affecté et troublé par cette tragique histoire d’une star naissante.

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HORS-JEU

Artiste aux multiples facettes. Castiglioni a remarquablement montré qu’il pouvait exceller aussi bien sur le terrain sportif qu’ailleurs. Sa carrière est ponctuée d’œuvres extrêmement variées. Il entre dans l’univers musical en réalisant « Music-Hall, les Beatles » où les visages des « quatre garçons de Liverpool » sont accompagnés de cercles de couleurs vibrantes. Bel hommage aux sixties. Homme de culture, Castiglioni ne pouvait pas rester insensible au cinéma ou à la scène théâtrale. Il réalise les affiches de « La merveilleuse visite », film de Marcel Carné (1974) et « La Belle et la Bête » de Jean Cocteau mis en scène de façon magique par Jean-Claude Baudoin (1989). Comme tout grand affichiste, il est approché pour des réclames publicitaires. Dans un style futuriste, il dessine l’affiche de l’exposition « Automobile et Publicité » du Musée de la Publicité (1984). Artiste pleinement citoyen, Castiglioni s’engage en réalisant plusieurs affiches dont le but est d’encourager le vote. Il réalise entre autres « Votons !» lors de l’élection présidentielle de 1995.

Music-hall, Grand Prix Martini de l’affiche 1969

Pour cette œuvre, Luigi Castiglioni fut couronné par le « Grand Prix Martini de l’affiche » en 1969. Au cœur de la période hippie et « Flower Power », sur fond psychédélique, apparaissent les vedettes de la chanson en vogue à l’époque. En premier plan les Beatles, mais également les représentants de la chanson française comme Françoise Hardy, Claude François, Michel Polnareff ou Sylvie Vartan. Dès lors, les agences de publicité font appel à Castiglioni pour d’importantes campagnes : Renault, Europe 1, Télé 7 jours.

LA POIRE (Grand prix de l’affichage 1978)

Ceci est une Renault 14. La Renault 14 c’est comme une « POIRE », minimum de place à l’avant pour le moteur, maximum de place à l’arrière pour le confort.

Alors, goûtez-la !

Cette affiche « teasing » fût commandée à Castiglioni par l’agence Publicis pour la marque au losange.

Affiche réalisée pour la municipalité de Maisons-Laffitte pour les célébrations du centième anniversaire de la naissance de Charles de Gaulle

Dans un rayonnement aux couleurs du drapeau national formant le « V » de la victoire, se détache le grand homme d’Etat s’adressant aux Français, le regard déterminé fixé vers l’avenir.

Autre aspect de l’engagement de l’artiste, la politique et la vie civique. Il réalisera l’affiche VOTEZ pour les élections municipales de 1983 et l’affiche VOTONS ! pour les présidentielles de 1995.